Les cimetières paysagers : des espaces verts pour tous

article paru dans Paysages actualités N° 295 


Signe patent d’une évolution des mentalités,  les cimetières créés aujourd’hui sont de plus en plus souvent conçus comme des jardins destinés aussi bien aux morts qu’aux vivants.  « Il s’agit tout à la fois d’intégrer le cimetière dans le paysage et de prendre en compte de nouvelles pratiques funéraires comme la crémation»  explique Thierry Gilson. Les réalisations de ce paysagiste à Bruz (Ile et vilaine) ou Nogent-le-roi  (Eure et Loir) en témoignent, ces lieux de mémoire et de recueillement peuvent ne pas rester des espaces figés. « Même si toute une symbolique est associée au cimetière -comme  l’arbre toujours vert- on n’est pas obligé de planter un if ou un cyprès. La palette végétale est infinie…»  Certaines options –arbres caducs, arbustes à baies- engendrent pourtant des réactions imprévues : « Les gestionnaires sont confrontés à la colère des familles qui se plaignent que les tombes sont envahies de feuilles mortes, que les sépultures sont souillées par les déjections des oiseaux… »

« Comment paysager des secteurs encore traditionnels ? Faire que le végétal prenne sa place dans ces lieux de calme,  lorsque l’espace est compté ? Apporter de la vie dans ces lieux imposés, ces terrains souvent délaissés et difficiles ? »  Voilà le type de questions auxquelles s’efforce de répondre la paysagiste Frédérique Garnier, invitée plusieurs fois à participer aux sessions de formations organisées sur ces thèmes par le Conservatoire international des jardins de Chaumont sur Loire.

Réalisé en 1920 par Erik Gunnar Asplund à Stockholm, le Cimetière des bois a profondément impressionné la jeune femme par sa sobriété, l’adéquation des lieux à la topographie : le site est inscrit depuis 1994 sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco.

« L’affligeante laideur qui marque la plupart des lieux de sépulture »,  rappelée en juillet 2005 par les sénateurs dans la proposition de loi relative à la législation funéraire n’est pas une fatalité, même si dans les pays latins, l’ostentation  reste encore la règle. Explication ? Les marbriers incitent souvent les familles éplorées à honorer la mémoire des défunts par des monuments funéraires à l’esthétique douteuse. Dans les pays anglo-saxons, ou dans les cimetières militaires, de simples stèles émergent  très sobrement du gazon.

Des contraintes draconiennes

Les concepteurs se sentent à l’évidence moins libres que lorsqu’ils sont invités à créer un parc de loisir : « le cimetière est un sujet délicat , il est impensable de faire quelque chose de gratuit» estime Robert Mander, qui a réalisé celui de la Ville aux dames (500 places), près de Tours. Cet architecte a tenu « à exprimer par le dessin le parcours de l’homme, sa quête spirituelle» matérialisée au sol par un calice. « Les tombes, en formes de trèfles, représentent le passage sur terre et sont invisibles depuis l’entrée : elles sont cachées par des haies, la voûte formée par de grands arbres rappelant la cathédrale. »  A La ville aux dames,  les références sont très ouvertement catholiques.

Un cimetière reste pourtant théoriquement  laïc (principe posé en 1881, renforcé par la loi de séparation de l’église et de l’Etat en 1905), les maires pouvant toutefois tolérer des carrés confessionnels. Une pratique, encore minoritaire, qui faciliterait notamment l’intégration des musulmans même si ceux ci ne peuvent, en France, être ensevelis dans un simple linceul comme l’impose le Coran.

Une législation funéraire, complexe, s’impose en effet aux communes. Pour des raisons sanitaires, toute personne décédée doit pouvoir être inhumée décemment, sans distinction de culte ni de croyance. Domaine public obligatoirement clos, un cimetière est toujours constitué d’emplacements individuels, mais aussi d’un ossuaire : y sont réinhumés les restes des défunts enterrés en pleine terre après un certain délai (cinq ans minimum), ou lorsqu’une concession n’est plus entretenue.

Des hydrogéologues sont consultés : les eaux de ruissellement doivent être canalisées pour éviter tout mouvement de terrain, les corps en décomposition ne doivent pas risquer de souiller les nappes phréatiques. Les tombes ne peuvent être creusées qu’à une certaine distance des habitations.

Avec le développement de la crémation en France, qui concerne aujourd’hui près du quart des décès contre 1% seulement en 1980, la réalisation de crématoriums s’accélère –il en existe aujourd’hui 115 et une dizaine sont en cours de construction- mais la  question des cendres humaines se pose avec acuité. 50 000 cimetières sont recensés en France, plus de 90% ne disposent d’aucun équipement de ce type. Des sites cinéraires vont donc s’imposer aux villes –ou aux établissement publics de coopération intercommunale- de plus de 10 000 habitants.

Carine Lenfant

 Saint Jean de Braye : Une lecture simple

Concours : 1988
Mise en servicce : 2002
Coût de l’opération (1ère tranche)  : 1,3 millions d’euros
(1/3 pour le bâtiment d’accueil, 2/3 pour les VRD et espaces verts)

Paysagiste consultant auprès de la MIQCP, Brigitte Barbier a conçu une dizaine de cimetières en France. Pour  celui de Fredeville, réalisé à Saint Jean de Bray près d’Orléans, elle a souhaité « une lecture simple, un parcours évident, une mise en scène symbolique qui suggère sans orienter. »

Le boisement haut et dense qui préexistait au milieu du terrain lui a permis d’organiser tout un cheminement : «Ce parcours, construit à partir d’une ouverture, crée une longue échappée visuelle vers l’infini, vers cette clairière où sera construit à terme l’ossuaire. » Les secteurs d’inhumation traditionnelle et les secteurs paysagers s’organisent en îlots de part et d’autre de l’allée principale : «il faut laisser aux gens un libre choix. »

Le jardin du souvenir et ses abords sont inscrits dans un cercle en frange de la forêt : « des  plots en bois symbolisent le passage, les familles pouvant disperser dans l’île les cendres des défunts sur des galets, au pied de bambous qui supportent bien l’acidité.»  Des caves-urnes sont disposés sur la rive -« je ne voulais pas qu’on les voie »- , des murets comportant les noms des défunts sont encastrés dans des talus engazonnés : « Il importe de conserver la mémoire des morts.»

Brigitte Barbier parvient à imposer partout deux entrées distinctes : l’une pour les familles, l’autre pour le service, située plus à l’écart : « la desserte des  sépultures a volontairement réduite  à un mètre soixante de largeur, cela  impose l’utilisation de petits engins pour donner plus d’intimité à la déambulation. »

 Les Claye sous Bois (Yvelines) : au coeur de la forêt

L‘architecte Anne Delaunay a fait appel à Perspective Paysage pour la réalisation de ce cimetière divisé en deux espaces distincts : à l’entrée nord de la parcelle, en continuité avec le cimetière actuel, on trouve des carrés d’inhumation traditionnels travaillés en petites unités. Une zone plus étendue s’étire vers les franges de la forêt et s’organise autour d’un cœur boisé. « On a retravaillé le couvert forestier, l’idée étant de faire descendre la forêt dans le cimetière» explique Frédérique Garnier.

La liaison entre l’ancien cimetière et l’extension est assurée par du végétal  : des bouleaux ont été plantés sur les axes latéraux, qui dessinent les limites des carrés paysagers  plantées de lilas et de seringas; des chênes –« qui mettront cinquante ans à pousser »-  le long de l’axe principal : « je ne voulais pas de conifères, dont la haute silhouette paraît lugubre. » Les eaux de ruissellement sont récupérées dans des noues et des fossés de saules plantés qui dessinent l’ossature et le morcellement de la parcelle..

Réalisation : 2003
Surface : 50 000 m²

Coût total des travaux d’extension : 1 400 000 € (avec le bâtiment d’accueil)

RMaître d'oeuvre : Anne Delaunay avec Perspective paysage (sous traitant)


         
le jardin du souvenir mêle le minéral et le végétal
avec de nombreux sujets récemment isntallés
 

           

Croissac : un cimetière sans allées

Réalisé en 2002, le cimetière paysager de Crossac ( Loire Atlantique) bénéficie d’un environnement remarquable :  ce terrain déjà très boisé en frange du marais de Brière jouxte le parc d’un grand manoir. Il comptera à terme 350 emplacements. La première tranche est d’ores et déjà achevée. «  La composition en arc de cercle  s’organise autour d’un point central agrémenté d’un mur d’eau, du jardin du souvenir et du columbarium.  Des dénivelés s’ouvrent sur l’eau, des cheminements en contrebas permettant de donner des repères » explique Yves Bureau. Ce paysagiste est allé jusqu’à dessiner les pierres tombales en granit.  « On n’a pas le sentiment d’avoir une diversité de tombes :  elles sont disposées par alvéoles rayonnantes vers le jardin du souvenir ( douze à quinze tombes par unité), il n’y a aucune allée, juste un cheminement central engazonné. » Quelques ifs (taxus baccata) ont été plantés : « Les formes élancées de ces sujets constituent les seules grandes verticales qui évoquent la spiritualité. »

Quelques arbres d’alignement ( Koelreuteria panicuLata) soulignent l’axe de composition Des arbustes à dominante de fleurs blanches  -deutzia, seringat, lilas, cistes, rosiers opalia, gypsophile, orangers du Mexique, lauriers tin- constituent des écrans visuels d’un mètre de haut. « Le végétal n’est pas là pour cacher, le regard peut porter au-delà des tombes.» Pour le Jardin des souvenirs, il a imaginé deux parterres de gazon, découpés en rayons « qui symbolisent le temps qui passe ».


Aucune allée dans le cimetière : seuls des espaces engazonnés permettent de se déplacer

  
    Le cimetière, tout en dénivelés, est composé en arc de cecle et s'organise auour d'un point central

Réalisation : 2002
Emplacemebts; 350 à terme

Superficie : 18 000 m²

Coût de la première tranche : 884 200 €. Maître d'oeuvre : Yves Bureau