La seconde vie des entrées de villes

article paru dans Paysage actualités N°291

Urbanisation linéaire, concentration d’ architectures pauvres, surenchère d’enseignes publicitaires, absence de tout alignement constituent le triste dénominateur commun des zones d’activité installées depuis une trentaine d’années aux abords des agglomérations.

« Le terme même d’entrée de ville est sujet à controverse, pourquoi pas sortie de ville ? Mais ce néologisme a le mérite d’exister et de revêtir une acception administrative, explique Michèle Prats, inspectrice générale  de l’équipement honoraire. L’entrée de ville n’est pas un événement ponctuel et isolé comme un rond point, une porte de ville ou un signal, ce n’est pas non plus le seul axe viaire. C’est ce que l’œil du piéton, de l’automobiliste ou du voyageur perçoit lorsqu’il quitte la campagne avant de pénétrer « en ville ». C’est à dire, dans le tissu urbain continu. Ce n’est plus la campagne, ce n’est pas encore la ville traditionnelle. C’est une approche cinétique, urbanistique et paysagère. »

L’absence de réflexion qualitative, de règles d’urbanismes contraignantes et de politique foncière cohérente est à l’origine de cette gestion de l’espace à l’américaine. Trop contents d’engranger des taxes professionnelles, les élus ont accepté que des investisseurs implantent leurs « boîtes à chaussures » n’importe comment sur des terrains peu chers situés le long de voies empruntées quotidiennement par des milliers d’automobilistes. Résultats ? Les spécificités géographiques, historiques ou culturelles des sites pré-existants ont presque partout été gommées, les paysages péri-urbains profondément dégradés, quant aux centres villes, ils se sont désertifiés !

Le débat sur la nécessité d’améliorer les entrées de ville a été relancé voilà une dizaine d’années avec le rapport du sénateur Ambroise Dupont. Certaines de ses propositions ont été reprises dans l’article 52 de la loi Barnier (dit amendement Dupont) du 2 février 1995 : entré en vigueur le 1er janvier 1997, l’article L 111-1-4 du Code de l’urbanisme interdit désormais de construire sur 100 mètres de part et d’autre des axes des autoroutes, voies express et autres déviations ; sur 75m de  part et d’autre des autres voies classées à grande circulation s’il n’y a pas eu réflexion globale préalable. Si cet amendement ne concerne pas directement les zones déjà urbanisées, du moins donne-t-il des outils législatifs et juridiques pour que les erreurs du passé ne se reproduisent pas dans les secteurs non encore urbanisés…

«  La remise en cause des comportements a fait l’effet d’un électrochoc , les DDE ont été incitées à mieux appréhender les projets de territoire, les élus, au départ hostiles, sont peu à peu entrés dans une nouvelle approche. Les habitudes se sont modifiées » insiste Michèle Prats. Secrétaire générale du Comité national des entrées de villes (CNEV), membre du conseil d’administration de la Ligue urbaine et rurale, qui organise le concours des entrées de ville depuis 2000, elle estime les améliorations apportées  ici ou là encourageantes. La loi Chevènement du 12 juillet 1999 qui favorise l’intercommunalité, la  loi SRU du 13 décembre 2000 qui s’efforce de limiter le développement anarchique à la périphérie des agglomérations de 15 000 habitants ont constitué à l’évidence des avancées. Une attention plus grande semble désormais portée aux abords. L’élargissement d’une voie ou la création d’une déviation permet souvent de revoir tous les accès, de remanier le tissu ancien, de s’interroger sur le devenir de certains terrains.

Concurrence aidant, la grande distribution paraît aussi commencer à réfléchir. L’implantation de « family village » par le groupe Altarea à Aubergenville, Thiais ou Ruandin, près du Mans (ce dernier ayant remporté le second prix des entrées de villes cette année) prouve que des mutations s’opèrent enfin. Façades soignées, arrières de bâtiments et espaces de livraison masqués par des haies, flux piétons et automobilistes distincts, parkings invisibles de la route et plantés créent un environnement plus convivial, qui se révèle propice à l’achat !

Le Madrillet : "Une entrée de ville forestière"

L'extension du parc d'activité du Madrillet (65 hectares) le long de la RN 128 a été conçue de manière à opérer une transition douce entre Rouen et la forêt du Rouvray.  Confortée par  le nouveau contournement sud de l'agglomération, cette entrée de ville a été l'occasion de prolonger cet espace boisé de qualité jusqu'aux portes de la ville. Lauréate de la consultation en 2001, l’agence HYL (Hannetel Yver Laforge) a  proposé ce dispositif spatial « qui organise la cohabitation intime entre la forêt et l'activité

Estimation des travaux : 7,468 millions d’euros HT

Maître d’oeuvre : HYL

Maîtrise d’ouvrage : Rouen Seine aménagement

« Le projet a consisté a créer une scénographie d'entrée, cadrée par la succession de bandes de boisement.  Les terrains cessibles sont organisés en bandes parallèles d'orientation est ouest dans ces clairières » précise le paysagiste Christophe Laforge.  Différentes typologies de seuils ont été proposées pour marquer le passage de l'espace public à l'espace privé : un mur de gabion de 1,50 m de hauteur permet d'unifier les clôtures des parcelles et de donner une cohérence au site ;  un réseau de noues, de fossés et de bassins d'orage permet de récupérer et  de filtrer les eaux pluviales et participe à la qualité de cette clôture. «Nous avons évité délibérément le "grand bassin de rétention unique" et privilégié un réseau de fossé qui compose une frontière linéaire naturelle. Ce dispositif induit un nécessaire recul et installe les constructions à distance de la route nationale


Maîtres d'oeuvre :
Robert Krier,
 Nicolas Le Bunetel
 architectes urbanistes ;
Univers paysagistes,
Saunier Techna BET VRD (Mission MOE)


Montant des travaux :

VRD 2,15 millions € HT
Bas Fougeray 2,81 millions € HT
VRD Baratière  (travaux en cours)

Vitré : étroite colaboration entre la ville et une enseigne

« La consultation lancée par la ville de Vitré(20 000 habitants) sur une zone de 50 ha a été générée par  le projet d’Intermarché de construire un grand complexe commercial dans la continuité de la zone industrielle, en limite d’urbanisation, sur un territoire bocager de 7ha » rappelle Nicolas Le Bunetel, architecte urbaniste. On se trouvait dans une situation d’entrée de ville potentielle avec deux voies d’entrée : la quatre voies Rennes-Saint Malo et  la rocade,  appelée à dessiner une seconde ceinture de contournement. »

Rotule de tout le trafic des RD 777 et 108,  le rond point est ceinturé d’une voie pour piétons et deux roues isolée des voitures. A partir de ce rond point, a  été proposée une organisation des parcelles en quartiers d’orange « répondant à la taille des lots, sans perturber la forme urbaine ».  Les façades commerciales, situées au nord donnent sur la rocade, les façades arrière sont traitées à une échelle différente. Un cahier des charges très strict impose une typologie des enseignes et des matériaux :  les façades doivent notamment  être traitées en bois.

 Dans le parc d’activités de la Baratière et du bas Fougeray,  les parkings sont traités de manière collective   « Tout ce qui était hydraulique a été traité en aérien, ce qui nous a permis de qualifier les espaces de stationnement. C’est une architecture de fossés, de talus  et de noues, empruntant son vocabulaire au bocage vitréen  » confie Patrick Le Priol, paysagiste de l’agence Univers.

Le projet, qui témoigne d’une étroite collaboration entre la mairie et Intermarché, a été distingué à deux reprises :  labellisé «Bretagne qualiparc », il s’est vu décerner  le premier prix décerné par la LUR en 2004

Thonon-les-bains : un plan global pour les entrées de ville
 

Coincée entre le lac Léman, les Alpe et le Jura, Thonon-les-bains a mené une réflexion sur ses entrées de ville est et ouest en 2004 et 2005. « Le projet de contournement, une infrastructure de 8 km, va modifier les flux de déplacements. Cela nous a donné l’occasion de repenser l’espace périurbain en intégrant les impacts de ces travaux à l’échelle du paysage de l’agglomération ». explique Bernard Delorme, directeur du service espaces verts.

Deux kilomètres ont d’ores et déjà été aménagés par Thonon sur l’entrée ouest, en direction de la Suisse. Afin de limiter la vitesse des véhicules –certains roulaient à 110 km/h-, l’avenue de Genève –une deux fois deux voies réputée dangereuse- a été réduite à une seule voie de circulation dans chaque sens. Les réseaux téléphoniques et électriques ont été enfouis, l’éclairage public refait.

12 000 rosiers et 170 arbres ont été plantés sur toute la longueur de l’îlot central : « il ne s’agissait pas de créer un alignement à essence unique, mais de créer différentes séquences soulignées par des arbustes à fleurs et des arbres à haute tige comme les pins sylvestres, les liquidambar et les ormes ». Huit aires régulièrement espacées, qui permettent de changer de sens ou de tourner à gauche, jouent ainsi le rôle de chicanes.

Maitrise d’ouvrage : ville de Thonons-les-bains, direction générale des services techniques et service espaces verts

Maîtrise d’oeuvre : 50 000 euros (TUP; Patrick Bernard; architecte paysagiste ; Ingédia)


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