Euroméditerranée, nouveau visage de Marseille
article paru dans Maires de France N° 239

(article paru dans Maires de France, N° 239)

Alors que le périmètre de l'opération d'intérêt national vient d'être étendu, les résultats d'Euroméditerranée confirment déjà son succès comme un accélérateur de développement économique pour la deuxième ville de France.

La ville de Marseille, la communauté urbaine Marseille Provence métropole,  le département des Bouches du Rhône et la région Provence Alpes Côte d’Azur (PACA), partenaires de l’établissement public Euroméditerranée (EPAEM), ont décidé d’étendre le périmètre de cette opération « d’intérêt national », la seule du genre,  créée en 1995.  Les transformations envisagées vont affecter 163 hectares supplémentaires, ce qui permettra d’étirer le centre de la cité phocéenne vers le nord. Après examen par le Conseil d’Etat, le décret devrait être signé  à l’automne.

Voilà douze ans, le périmètre portait sur 310 hectares, situés entre le Vieux Port, le port de commerce et la gare TGV, une zone abandonnée depuis plus de trente ans où résidaient 30 000 habitants durement frappés par le chômage. Le programme prévisionnel (1996-2010)  prévoyait alors de construire 1,2 million de m² de planchers neufs,  de créer un centre d’affaires (600 000 m² de bureaux), de construire 4 000 logements, d’en réhabiliter 6 000 et de créer 15 à 20 000 emplois en quinze ans. 10 000 logements , 500 000 m2 de bureaux, 200 000 m² d’équipements publics supplémentaires sont aujourd’hui programmés. A l’horizon 2012, 580 millions d’euros de fonds publics auront été injectés au total dans ce projet, qui devrait générer 3 milliards d’euros d’investissements privés.

Repositionner Marseille parmi les grandes métropoles d’Europe du sud,  conforter son rôle dans la dynamique de coopération entre les pays des deux rives de la Méditerranée, tel était dès le départ le défi lancé par les politiques. Si le démarrage d’Euromediterranée a été lent, a parfois soulevé le scepticisme –la ville avait perdu 73 000 habitants et près de 30  000 emplois entre 1982 et 1999 1-  l’arrivée du train à grande vitesse en juin 2001 a incontestablement joué un rôle moteur : Marseille se trouvait  soudain à trois heures de Paris, des liaisons directes étaient assurées avec Roissy, Genève et Bruxelles.

En développant son offre de bureaux à des coûts très inférieurs à Barcelone ou Paris pour un niveau de prestations identiques, la ville a apporté la preuve de son dynamisme et suscité l’intérêt d’investisseurs privés. Conjoncture  immobilière favorable aidant, plus personne ne doute aujourd’hui du succès de cette opération de revitalisation économique : « En dix ans, 30% des objectifs fixés ont été atteints  et d’ici à  trois ans, 80% seront réalisés alors que les ressources foncières seront  pratiquement épuisées » rappelait  en mars dernier Renaud Muselier, président de l’EPAEM, adjoint du maire de Marseille et vice-président de la communauté urbaine lors de l’inauguration du marché international des professionnels de l’immobilier  (MIPIM) à Cannes.

Dans la deuxième ville de France, des  quartiers tombés en décrépitude changent radicalement d’image. Les anciens docks ont d’ores et déjà été transformés en bureaux, des dizaines d’entreprises spécialisées dans l’audiovisuel et les nouvelles technologies ont élu domicile sur les anciennes friches de la manufacture des tabacs.

Les équipements publics font une large place à la culture : sous le fort Saint Jean, le musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée et un centre régional de la culture méditerranéenne, construit par Rudi Ricciotti,  doivent voir le jour d’ici 2011.

 Plusieurs tours réalisées en front de mer par les plus grands architectes internationaux du moment vont métamorphoser le paysage. Le siège  social de la CMA CGM, troisième armateur mondial, a été confié à  l’anglo-irakienne Zaha Hadid, Pritzker price 2004 (l’équivalent du Nobel pour les architectes). Ce bâtiment culminera à 148 m et comptera 33 étages.  Un autre IGH, construit par Jean Nouvel pour le groupe Constructa, atteindra 130 m de haut. Réalisé par Massimiliano Fuksas, Euromed center regroupera bientôt un hôtel 4 étoiles et un multiplex Europacorp de 3 200 fauteuils.

« Euromediterranée est un accélérateur de développement économique, un élément d’attractivité pour renforcer le rayonnement de Marseille  à l’échelle internationale » insiste Claude Vallette, adjoint au maire en charge de l’urbanisme et des grands projets. 7 000 emplois ont été créés, un quartier d’affaires est sorti de terre : 160 000 m² de bureaux neufs ont déjà été livrés.  De grandes entreprises, telle IBM, Société générale, BNP Paribas, DHL, Télécom Italia, ont choisi d’y implanter leur antenne régionale ou leur siège social.

En 2006, l’EPAEM a accompagné 17 sociétés  qui à elles seules représentaient 900 nouveaux emplois sur le quartier d’affaires de La Joliette et le nouveau pôle média de Belle de Mai.

 Le périmètre, il est vrai, bénéficie d’atouts décisifs : un front de mer à très fort potentiel, un patrimoine immobilier et architectural, une accessibilité rare pour un centre ville. Marseille offre en effet un positionnement stratégique : trois autoroutes relient la métropole à l’Espagne, l’Italie et l’Europe du nord ; situé à Marignane, l’aéroport international, qui dessert 90 destinations et 30 pays, est accessible en vingt minutes ; le métro doit être prolongé, le tramway, inauguré début juillet., traverse le quartier.

Un effet de levier pour la CUM

 Créée en juillet 2000,la communauté urbaine Marseille Provence Métropole (MPM) regroupe 18 communes. 5 de plus que la communauté de communes élargie de 1993 (Regroupant Marseille, Marignane et MPM avait vu le jour un an plus tôt). Avec près de 800 000 habitants, la ville centre dispose de 82 délégués à la CUM, quand La Ciotat ou Marignane n’en comptent qu’une dizaine. « Si les communautés urbaines de Lyon et de Bordeaux ont l’habitude de travailler ensemble, nous, cela ne fait que trois ans  rappelle Claude Vallette. Quand Marseille retrouve sa place, c’est toute la métropole qui avance. Mais cela fait parfois quelques jaloux !»

«  Euroméditerranée bénéficie d’un large consensus des autres collectivités, estime pourtant Monique Agier, directeur général adjoint du conseil général  : compte tenu de ses difficultés, Marseille n’avait pas sa place de capitale. Elle doit voir son rôle renforcé »..

De nouvelles infrastructures, chacun en est conscient, s’imposaient. Le plan de déplacements urbains, mis en place par la CUM prévoit notamment de créer un vaste maillage sur tout le territoire en réponse au développement d’Euroméditerranée. S’il apporte volontiers son soutien financier à l’opération - la création de l’axe littoral sud-nord, le raccordement à l’Autoroute A7 ont bénéficié de près de 17 millions d’euros du département, qui s’est engagé à apporter 12 millions supplémentaires pour la future liaison entre l’A50 (Aubagne-Digne)  et l’A7 (Aix-Lyon) - le conseil général reste très attentif aux questions sociales. Le fait que son président,  Jean-Noël Guérini, ait été maire des deuxième et troisième arrondissements n’y est pas étranger : « il connaît bien ces quartiers, ce qui explique sa vigilance : la mutation du secteur ne doit pas se traduire par des exclusions. »

L’EPAEM aurait bien souhaité que l’extension du périmètre opérationnel englobe une partie des quais. Le conseil général, qui siège au conseil d’administration, ne l’a pas entendu de cette oreille : « Construire des immeubles sur le port ne nous paraît pas aujourd’hui prioritaire. Nous avons bataillé ferme pour que les bassins Est conservent une vocation industrielleIl ne s’agit pas de dépenser des millions d’euros pour supprimer des milliers d’emplois. L’activité du port n’est pas négligeable, il convient de mener encore des études avant de décider de l’avenir de ce quartier sensible » explique Monique Agier. Le Port autonome de Marseille (PAM), autre établissement public,  avait aussi son mot à dire : Une convention a été  signée en mars dernier avec Euromed, afin de réfléchir à l’aménagement de la façade littorale et de l’interface ville/port  dans les années à venir, « en favorisant les synergies entre les activités portuaires et maritimes d’une part et le développement des fonctions métropolitaines. »

L’aide de l’Etat –230 millions d’euros au total de 1995 à 2012- représentait 50% des investissements publics au départ. Elle  se limite désormais à 33,2%. « Si l’on compare l’aide apportée à Gênes par l’état italien –5 milliards d’euros-  pour en faire le premier port du pays, l’Etat Français n’a pas mis des sommes colossales », estime Claude Vallette.

Reste une interrogation : après 2012 qui va payer ?

Carine Lenfant

Montant des investissements et pourcentage des participations des différents partenaires

Protocoles

Total

Etat

Région

Département

Ville

CUM MPM

1995-2000

132 M€

50%

10%

10%

25%

5%

2000-2006

236,9 M€

50%

10%

10%

25%

5%

2006-2012

132,6 M€

37 M€ (AL2)

19 M€ (gare maritime PAM)

180 M€

33,2%

-

15,78%

20%

27,02%

15,78%

 

20%

32,43%

-

21,5%

-

-

20%

40,54%

5,26

Total

548,90 M€

Contributions publiques

Hors protocole

30M€

Feder

 

Montant des investissements  (en millions d’euros) selon les différents partenaires

Protocoles

Total

Etat

Région

Département

Ville

MPM

1995-2000

132

66

13,2

13,2

33

6,6

2000-2006

236,9

118,45

23,69

23,69

59,22

11,84

2006-2012

132,6

37 (AL2)

19 (gare maritime PAM)

180 €

44,1

-

3

20

10

3

 

20

12

-

28,5

-

-

20

15

1,5

Total

548,90

 

Hors protocole

30M€

Feder

Sources : Euromed

Mutations et changements d’échelles.

La Joliette, Belle de mai sont aujourd’hui méconnaissables : les hangars désaffectés ont été démolis, lofts, penthouses et villas patios accueillent de nouveaux habitants. Sur les 2100 logements mis en chantiers, 740 seront des logements aidés, destinés notamment à des étudiants.

Deux opérations programmées d’amélioration de l’habitat ont été mises en place pour inciter les propriétaires bailleurs à rénover leurs logements. L’habitat indigne est  en voie d’éradication : 2300 réhabilitations sur les 5 200 prévues sont engagées, notamment rue de la République. Les panneaux publicitaires de promoteurs en témoignent : en déclin, cette artère historique reliant le port de commerce au Vieux Port change de look et suscite aujourd’hui bien des convoitises. 

Alors que la ville affirme que la mixité sociale des populations résidentes sera maintenue, l’annonce que Marseille République, filiale du fonds de pension américain Lone Star, s’apprêtait déjà à mettre en vente les 505 logements ( 41 600 m²) et les 193 commerces (50 000 m²) qu’il avait acquis en 2004 rue de la République  a fait l’effet d’une bombe. Les associations d’habitants redoutent que les ventes à la découpe chassent les « pauvres » du secteur. 

1 sources Insee (recensements 1982, 1990, 1999)


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