Land art : la nature comme source d'inspiration


article paru dans Grandes écoles magazine N° 7
                         
Arches de pierre s’enfonçant inexorablement dans les vagues, sculptures de glace se dissolvant peu à peu sous l'efffet de la marée, compositions en feuilles becquetées par des canards ou flétries par le soleil... Andy Goldsworthy n'emploie que des matériaux naturels pour réaliser ses oeuvres éphémères :  « Je saisis les occasions que m’offre chaque jour : s’il neige, je travaille avec de la neige ; à l’automne, avec des feuilles mortes ; un arbre renversé devient une réserve de branches, des plus petites aux plus grosses » explique [1]cet artiste anglais de 45 ans, qui s’avoue fasciné par les lignes, les spires, les boules et autres taches, « formes récurrentes » dans son œuvre. 
© Andy Goldsworthy
 Pour édifier des murs qui serpentent parmi des arbres  - l’histoire du «  mur parti se promener » dans la forêt de Grizedale (Angleterre) et de son successeur, implanté à Storm king, un parc de sculptures de l’Etat de New York, est contée dans l’un de ses ouvrages [2]– ou pour monter des dalles de neige érigées contre le vent, l’homme se sert le plus souvent de ses mains nues. Mais aussi parfois d’outils improvisés –le tuyau d’une plume, quelques épines pour lier entre elles des feuilles- ou encore d’eau glacée pour souder stalactites et rochers.Andy Goldsworthy ne recourt à la photographie que pour conserver le témoignage de ses réalisations, avant qu’elles ne se dissolvent au fil des jours, qu’elles ne fondent parfois en quelques heures sous l’effet de la chaleur ou de la pluie, qu’elles ne soient endommagées par des chutes de pierres ou d’arbres. « Conscient que l’état de la nature était le changement, et que ce changement donnait la clé de sa compréhension, je veux que mon art soit en éveil, sensible aux changements du matériau, de la saison, du temps » confie-t-il encore [3]« Lorsque je travaille avec une feuille, un rocher, une branche, ce n’est pas simplement le matériau en tant que tel que je manipule ; c’est une fenêtre ouverte sur les processus de la vie, dans l’objet et autour de lui. Quand j’ai terminé, ces processus continuent. »[4]

Célèbre aujourd’hui dans le monde entier (pour s’en convaincre, il suffit de voir le nombre de sites qui lui sont consacrés sur le web), Andy Goldsworthy a mené depuis la fin des années 70 des expériences dans le désert (Nouveau Mexique), des vallées verdoyantes (Grande Bretagne), dans des lieux toujours ensoleillés ou au contraire constamment froids (Nouvelle Ecosse). L’artiste observe, fasciné, les mutations apportées par une brusque élévation de température, la venue du ressac,  du vent ou de la pluie.

« Dernièrement, le défi ne fut pas d’attendre simplement que les choses se dégradent, mais de faire changer une partie intégrale de l’objectif visé par une œuvre, pour que, dans le meilleur des cas, elle devienne plus forte et plus complète en se désagrégeant et en disparaissant » raconte-t-il dans son dernier livre[5] . De son expédition au Pôle Nord, en avril 1989, il a rapporté des photographies extraordinaires, exposées dans le monde entier[6]. Sont également vendus en ligne sur Internet (http://www.eyestorm.com/events/goldsworthy/collection.html)quelques tirages limités de photos prises lors de ses recherches en Haute Provence, à la réserve géologique de Digne-les-bains.

« Depuis le début des années soixante, et dans le contexte plus général de remise en question des musées et des galeries, bon nombre d’artistes ont choisi d’intervenir dans la nature,  fascinés par les possibilités plastiques qu’elle pouvait leur offrir » constate Gilles A. Tiberghien [7]. Pour ce professeur d’esthétique, qui enseigne à Paris I et à l’Ecole nationale supérieure du paysage de Versailles « La terre, mais aussi l’eau, le vent ou le feu sont devenus les partenaires actifs d’un processus de production artistique qui s’est mis à compter autant, si ce n’est plus, que les objets produits eux-mêmes »

Autels improbables
Pour Nils Udo, la nature est aussi source d’inspiration et champ d’expérimentation. Ce Bavarois âgé aujourd’hui d’une soixantaine d’années a abandonné la peinture dans les années 70 et travaille de manière plus intimiste, disposant quelques pétales roses, des baies colorées à la surface d'un nénuphar, bâtissant de précaires radeaux de roseaux, de gigantesque nids de brindilles (certains ont été installés notamment au centre d’art du Crestet, près de Vaison la Romaine), des autels improbables implorant on ne sait quelles divinités. Autant de réalisations qui frappent par leur pure poésie et leur fragilité.

photos © Nils Udo

« Même si les compositions n'obéissent à aucun schéma prescrit, sinon celui plus ou moins aléatoire de l'environnement, la patience et la régularité qui s'opèrent évoquent souvent les principes de construction d'un mandala tibétain pour l'infinie précision de l'acte, sa correspondance avec les lois fondamentales et son caractère éphémère » note très justement l’auteur du catalogue[8] accompagnant l’exposition rétrospective itinérante de ses travaux. Parti d’Allemagne en 1999, cet  « exhibition tour » s’achèvera au Japon en 2002 après un passage par la France, l’an passé, l’Italie et l’Espagne cet été.

Chris Drury est lui aussi catalogué comme un artiste du « land art » parce qu’il travaille avec des végétaux et des minéraux. S’il enferme à l’occasion des plantes dans des feuilles, fabrique des sphères à base de pommes de pin,  il réalise également des tourbillons de pierres, des cairns au bout de promontoires, construit aussi beaucoup d’abris et de refuges ressemblant selon à de grandes corbeilles, des nasses ou des vaisseaux, bâtit d’énormes dômes. « Si l’abri est un lieu où l’on s’arrête ; un point final, le cairn est une virgule dans le rythme d’une marche,  confie-t-il[9]. La marche, par son action méditative, est la toile de fond sur laquelle les cairns deviennent des repères : tout au long du chemin, ils signalent les points culminants, les moments de griserie. Trois minutes pour indiquer quelque chose avec des pierres, trois minutes pour prendre une photo, détruire la pile et continuer à marcher. C’est ensuite le photographe qui transmettra le geste »
 
Carine Lenfant

 
[1] In   « Andy Goldsworthy  crée avec la nature» (Anthèse)
[2] « Mur » (Anthèse)
[3] in « Temps » (Anthèse)
[4] in « Andy Goldsworthy crée avec la nature »
[5] in « Temps » (Anthèse)
[6] la galerie Lelong le représente à Paris et à New York.
[7] in « Nature, art, paysage » (Actes sud)
[8] « De l'art avec la nature » ( Wienand éditions)
[9] « Silence art espace » (Catleya éditions)


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