Mer intérieure




article paru dans Architecture à vivre en mars 2009

Toit végétalisé,  longue façade vitrée et ses jeux de transparences caractérisent cette villa située à Bandol. Signée Rudy Ricciotti, elle s’intègre magnifiquement dans le paysage varois et ttout en tranchant singulièrement sur ses voisines. L'agence Marchi architectes en a dessiné le mobilier, un savant assemblage de bois. Mais le plus surprenant, c'est la piscine !


 facade exterieure

Loin d'évoluer dans ce milieu,  les propriétaires  des lieux s’intéressent déjà  depuis longtemps à l’architecture contemporaine.  « Bien avant d’avoir ce projet en tête », ils ont profité d’un voyage aux Etats-Unis pour  aller voir de près quelques réalisations de Richard Neutra, Greg Elwood, Pierre Koenig et Louis Khan pour des clients privés. 

Claire et Julien ne voulaient  « surtout pas » d’une maison néo-provençale. En  achetant un terrain de 5000 mètres carrés dans le Midi, ils appréhendaient  d’ailleurs beaucoup que le Plan local d'urbansisme (alors Plan d'occupation des sols) ne soit trop contraignant.  Inquiétudes vite levées : « le responsable des services d’urbanisme de Bandol aime l’architecture contemporaine. »

Rudy Ricciotti,  dont Claire connaissait le travail via la presse spécialisée, a été contacté en 2002 : l’agence de ce sudiste avant-gardiste (vingt-sept collaborateurs y travaillent aujourd’hui) est située à moins de cinq kilomètres. « Julien  lui a  expliqué qu’on lui laissait totale carte blanche, précise Claire.  Si nous décidions de faire appel à un architecte réputé, ce n’était pas pour figer totalement le programme. Sinon, nous aurions pu faire nous-mêmes les plans » 

Un coup de cutter dans le paysage

Fidèle à lui-même, Rudy Ricciotti a repris ici les thèmes  qui lui sont chers, développés notamment dans les villas Lyprendi à Toulon (1997), Le Goff à Marseille (1998), Seus Bos à la Cadière d’azur (1998) et  Navarra  au Muy(2002). Ces maisons ont rois points communs  : un rapport brusque à la topographie, un encastrement dans le sol et une mono-orientation. 
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« La radicalité s’exprime par la gestion de l’horizontal par rapport à la pente : C’est un coup de cutter, explique l'architecte  L’écrasement vertical et l’extension horizontale ramènent à une composition qui est celle du panoramique. Ce cadrage  horizontal invente un paysageC’est l’obsession d’un regard qui cherche à montrer ce qui n’existe pas : cette maison n’est pas située en bord de mer mais on l'aperçoit.  L’architecte construit une relation critique avec le paysage, Picasso ne disait-il pas « Nous nous devons de transformer la nature » ? »

L'invisible

Sur les collines de Bandol où fleurissent une multitude de villas roses recouvertes de tuiles canal, celle-ci tend à s'effacer, voire à disparaître. « Les positions que je prends ont pour objet de créer des tensions, précise l'architecte.  Ma manière d’aimer un site, de célébrer le paysage provençal,  c’est de lui chercher querelle. Ce scénario de la confrontation pose la question de la responsabilité architecturale.  L’encastrement dans le sol renvoie à  la culpabilité, à la difficulté de construire en Provence, dans un paysage dévasté que les pavillonneurs ont ravagé comme un acte sexuel accompli sans tendresse ni érotisme.»

Cette radicalité affirmée a impliqué de creuser profondément la roche afin d’y ancrer cette maison. De grands plateaux se déploient sur trois niveaux, traités comme autant de longues restanques. L'étroit bâtiment de 6 mètres de large sur 66 mètres de long émerge du terrain avec discrétion, en épousant les lignes de niveau. "Toutes mes maisons disparaissent dans le ventre de la terre, souligne Rudy Ricciotti.  Elles s’intègrent tout en tirant la couverture jusqu’aux yeux dans le lit, afin de se faire oublier."   
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Vivre dans une oeuvre d'art

« La mise en œuvre des plafonds, en béton banché,  est un travail magnifique » reconnaissent volontiers les propriétaires. qui éprouvent le sentiment d’habiter « une œuvre d’art ». A cela s'ajoute un étonnant dispositif de la piscine aquarim : la ligne de nage de 30 mètres qui longe la façade est caractérisée par de grandes baies vitrées de part et d'autre du bassin. Les plongeurs peuvent ainsi observer le paysage varois en apnée, tout en étant observés depuis la chambre à coucher. Un dispositif qui permet de diffuser dans les pièces intimes une lumière particulière
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Une ombre au tableau ?  Le chantier a duré plus longtemps que ne l’avaient imaginé les commanditaires -le terrassement n’a été achevé qu’en 2004, le gros œuvre qu’en 2006- les relations entre eux  tous se sont passablement compliquées..
Fin 2007 Nicola et Adelaïde Marchi ont été contactés par Claire . : « ils avaient réalisé un petit appartement de manière très astucieuse, publié dans AMC. »  Ce couple de jeunes architectes  a eu la redoutable mission « d’intervenir sur un lieu conçu par un autre architecte, avec des espaces très difficiles à gérer ».  Cette  résidence secondaire  était jugée un peu froide par ses occupants ? Les Marchi ont donc entrepris d’humaniser les lieux, « de créer un peu d’intimité, en divisant les espaces. » Un travail complexe qui a fait récemment l'objet d'une exposition à l'occasion des Nouveaux albums des jeunes architectes 2008.

Claire-voie

Conscients des enjeux et sans vouloir entrer en concurrence avec le projet existant, les Marchi ont opté pour une autre forme de transparence.« Notre parti pris par rapport au projet a été d’essayer de répondre à toutes les fonctions de manière efficace  dans un souci d’homogénéité : il fallait retrouver le même esprit un peu partout, tout en maintenant une transparence nécessaire »  explique  Nicola Marchi. 
        
Un système de cloisonnements  à claire-voie a été imaginé : il permet de dissimuler partiellement  aux regards ici une kitchenette, là un dressing  ou un cabinet de toilettes, ailleurs de fermer, sans pour autant l'obscurcir, la chambre parentale. Des banquettes munies de tiroirs accueillent différents couchages -la famille comprend deux adultes et cinq enfants- des  modules s’entrouvrent et se transforment au besoin en tablettes de bureaux. Et meme en lit d'appoint pour bébé.

Plutôt que d'etre disposées sur un seul plan, les lattes en hêtre massif, qui -selon Claire- "reprennent le rythme des traverses de la toiture » ne forment pas un seul plan, mais des ondulations, censées s’inspirer des roches du terrain.  La mise en œuvre de ces éléments a été très rapide : conçus à Paris, préfabriqués en Italie, ils ont été livrés six mois plus tard, et montés sur place.  

copyright : texte et photos publiées sur ce site Carine Lenfant

Fiche technique :

Architecte : Ruddy Riccotti (maison) Agence Marchi (éléments bois)
Localisation : Bandol (Var)
Année de réalisation : 2008
Durée des études : 2 ans (mobilier : 2 mois)
Durée des travaux : 5 ans (mobilier : 2 semaines de pose sur chantier)
Surface : n.c
Coût des travaux : n.c
Détails : prix du terrain (valeur 2001) : 260 000 €
Gros œuvre : 450.000 € HT
Etanchéité piscine (entreprise Amson Etanchéité à Gennevilliers) : 26.200
Pose des vitrages aquarium (entreprise Coutant Aquarium à La Rochelle) : 17.600 € HT
Sol coulé (Protecfloor) : 38.000 € HT
Electricité (Electricité Méditerranée) : 50.000 € HT
Plomberie : 46.500 € HT
Agencement bois : 100 000 € H.T (hors honoraires)

Matériaux utilisés : béton (structure) tasseaux de béton masif, bouleau (mobilier)