Pistes cyclables : un savoir-faire encore trop méconnu

article paru dans Paysages actualités N° 282   

A l’heure où les pouvoirs publics s’inquiètent des effets néfastes de la pollution atmosphérique et du manque d’exercices physiques sur la santé de nos concitoyens, encourager le développement de la bicyclette en France paraît louable. Les propositions formulées en ce sens par Brigitte Le Brethon, députée maire de Caen, en mars 2004 semblaient avoir convaincu le premier ministre. Ambition avouée ? Faire passer la part du vélo à 10% des déplacements d’ici 2010.

La prise en compte de ce moyen de transport dans une politique d’aménagement urbain se heurte pourtant à de solides résistances. Les hommes politiques s’étant surtout souciés d’adapter la ville à l’automobile, la rue paraît aujourd’hui dédiée exclusivement à la voiture ! L’usage régulier du vélo se révèle souvent dangereux, voire impossible à moins d’effectuer de longs détours. Surtout en banlieue. Résultat ? Les parents frémissent à l’idée que leurs enfants se rendent à l’école ou au lycée en deux roues. Eux mêmes préfèrent utiliser leur véhicule pour aller travailler, alors que la majorité des déplacements motorisés s’effectuent sur de courtes distances. En Ile de France, 86% de ces derniers font moins de 1km.

780 villes ont adhéré à ce jour au Club des villes cyclables mais leurs initiatives paraissent parfois bien timides à côté de celles prises par leurs homologues allemandes, suisses ou hollandaises. « Les plans de déplacements urbains (PDU) publiés paraissent souvent très beaux, mais un décalage certain apparaît entre le dire et le faire, la circulation étant jugée une simple affaire de techniciens ! » constate Véronique Michaud. Secrétaire générale de cette association créée en 1989, elle se félicite tout de même des avancées observées : « Voilà quinze ans, les élus pensaient qu’il fallait aménager des voies dédiées. Comme cela coûtait cher et que cela consommait de l’espace, ils n’entreprenaient rien ! Faire cohabiter piétons, cyclistes, automobilistes, en protégeant les plus vulnérables, c’est planifier la ville autrement. Il ne s’agit pas d’interdire la mixité mais d’abaisser la vitesse des voitures, de créer des zones 30, d’inverser les priorités : la rue a trop longtemps été pensée comme une route… »

Les mentalités évoluent peu à peu : le partage de la voirie dans certaines grandes villes en témoigne. A Paris, comme à Bordeaux ou Strasbourg, les couloirs mixtes bus/vélo sont apparus comme un signal fort. La largeur de la rue se révélant intangible, les trottoirs souvent étroits, dédier une voie aux piétons, une autre aux cyclistes, une troisième aux véhicules motorisés relève souvent de l’utopie. La création de bandes cyclables est une solution peu onéreuse : le service voirie se contente bien souvent de peindre en vert un pointillé, un pictogramme sur le sol.... Unidirectionnelles ou aménagées à contresens dans les voies uniques, les pistes cyclables paraissent plus chères à réaliser : elles sont séparées physiquement du trottoir et de la chaussée.

« Le passage des vélos nécessite moins des aménagements linéaires qu’un traitement approprié des carrefours importants, insiste Serge Asencio, chargé de mission vélo à la Communauté urbaine de Strasbourg (CUS) : les accidents ont généralement lieu aux intersections. »

Afin de réserver plus d’espace aux circulations douces et à la végétation d’alignement, certaines villes –comme Nantes - ont décidé de supprimer une ou plusieurs voies de circulation automobile. Ce qui n’a aucune incidence sur la fluidité du trafic. D’autres, telles Strasbourg, Rennes, Grenoble, Paris ou Annecy ont compris que vélo et transport public (bus, train ou tram) étaient complémentaires. Leur usage conjoint peut offrir une alternative crédible, économique et écologique aux déplacements auto.

« Ce n’est pas tant le chemin qui se révèle important mais le début et la fin » estime pour sa part Nico Bouts. Ce paysagiste hollandais, installé à Lille, juge notamment la question du stationnement sur les espaces publics et privés primordiale : 22 millions de vélos sont recensés en France, mais la pratique quotidienne pourrait augmenter si les propriétaires ne redoutaient pas tant d’être victimes de vols !

Vélos des villes et vélos des champs

Si les communes, compte tenu des pouvoirs qu’elles détiennent désormais, réaménagent volontiers leurs centres, beaucoup se soucient assez peu de ce que vont entreprendre leurs voisines. «L’absence d’une vision d’ensemble –à l’échelle de l’agglomération- explique que les liaisons déjà réalisées, qui pourraient servir de canevas et de base de réflexion commune, soient si dures à relier entre elles… » explique Laurence Nolorgues, chargée d’études à l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région Ile de France (IAURIF).

Les départements et les régions de leur côté s’impliquent plutôt dans des infrastructures lourdes, tournées vers le loisir. 9 millions d’euros auront été dépensés en une dizaine d’années dans la voie verte qui traverse la Saône et Loire. Aménagée au départ sur le tracé d’une ancienne voie ferrée désaffectée reliant autrefois Cluny à Givry, celle-ci a été prolongée au fil du temps en bordure du canal du centre. Aujourd’hui long de 110 km, l’itinéraire s’inscrit dans le projet européen Nantes-Budapest et le schéma régional « la Bourgogne à vélo ». Le retour sur investissement paraît assuré : « Des boucles balisées invitent cyclistes et autres randonneurs à découvrir les communes environnantes . Chacun dépense en moyenne 10 euros par jour localement.”

L’association AF3V recense 148 voies vertes et autres vélo-routes en France où marcheurs, rollers et amateurs de VTT peuvent se côtoyer en toute sécurité. Si le choix des tracés suscite peu de polémiques, les manières d’aménager laissent parfois perplexe. Le recours à des paysagistes semble peu généralisé ; les brochures thématiques qu’éditent le CERTU pas aussi connues qu’elles le mériteraient.

« Les pistes cyclables sont souvent confiées au service des routes, qui ne connaissent que le bitume » soupire Jean-Pierre Blanc, directeur d’ Oméga Consultants, bureau d’études spécialisé dans le développement et l’animation touristique des bords de l’eau.

Responsable du pôle qualité urbaine à l’IAURIF, Anca Duguet est formelle : « Les pistes cyclables en milieu urbain comme les coulées vertes exigent un savoir faire très particulier que les différents intervenants dans la chaîne de l’aménagement méconnaissent.. Il n’existe pas de recette absolue mais pour qu’il n’y ait pas conflits lors du partage de l’espace, il faut savoir se mettre dans la peau de l’autre… »

Albi-Castres, voie verte de 44 km aménagée dans le Tarn

© photo Conseil général du Tarn

« La voie verte s’inscrit à la fois dans la politique de randonnée et le schéma cyclable départemental sur lequel se greffent les vélos-routes des départements limitrophes» explique Patrick Urbano, chef du service Espaces et paysages du Conseil général du Tarn. « Aménagée sur l’ancienne ligne de chemin de fer, cette traverse paysagère s’inscrit dans un projet plus vaste, qui doit nous relier au Tarn et Garonne et à l’Hérault. »

« Cette voie s’inscrit autant dans une démarche de cadre de vie et de resourcement que de développement touristique» tient à préciser ce géographe, cycliste à ses heures. Coût : 650 000 euros. Cette piste de 3 m de large en sable fin compacté est ouverte aux cavaliers, cyclistes et randonneurs : « Le sable présente un caractère plus naturel et offre davantage de garanties quant à la diversité des utilisateurs : les vélos risqueraient de rouler trop vite sur le bitume ! »

Si les travaux de terrassement ont été confiés à des entreprises privées, l’élagage des arbres, le débroussaillage et la fauche des bandes herbacées sont assurés par différentes structures d’insertion. Le service Espaces et paysages fabrique et installe le mobilier en bois qui sécurise les intersections.

Inscrite au cœur du « Pays de Cocagne » cette voie verte est associée à une cinquantaine de boucles qui maillent l’ensemble du Tarn pour en faire découvrir les paysages caractéristiques : « Les fenêtres visuelles ouvertes le long de la voie, bordé de haies champêtres -constituées d’aubépines, de prunelliers, de noyers, d’érables de Montpellier- favorisent la bio-diversité. »

Intervention en milieu urbain : Amiens

Dirigeant du cabinet parisien Véloplan, Guido Gremler a été chargé de l’étude d’un schéma directeur à l’échelle de l’agglomération amiénoise en 1996. Cet architecte urbaniste s’est vu, depuis, confier la maîtrise d’œuvre de plusieurs tronçons de l’itinéraire cyclable de 5 km qui relie le centre au campus universitaire.

« Selon le contexte, le choix s’est porté sur des pistes cyclables et des bandes à contresens, explique-t-il. Des solutions pour modérer la vitesse automobile ont été préconisées : des arbres ont été plantés en plein milieu de la chaussée, pour marquer l’entrée dans une zone 30 ; des plateaux surélevés ont été systématiquement aménagés aux intersections les plus dangereuses, des stationnements en chicane ont aussi été créés. »

« Nous voulions marquer certains croisements par de la brique, mais pour des questions de coût, la brique s’est transformée en enrobé rouge... » précise Guido Gremler, néanmoins parvenu à imposer des petits îlots engazonnés très efficaces : « ils signalent de loin la visibilité de la traversée des vélos. »

« Adjointe au maire et aujourd’hui vice présidente de l’agglomération, Yohanna Bougon a soutenu très fortement le projet, confie Guido Gremler. L’ensemble de l’opération sur trois tranches avait été évalué à 3 millions d’euros. La première tranche est presque terminée, la seconde a bien avancé. »

Concrètement, Amiens Métropole entend développer encore le réseau cyclable : 45 kilomètres supplémentaires devraient s’ajouter aux 58 kilomètres déjà créés.

La Loire à vélo : premier tronçon de 150 km sur les 800 prévus

© photo Marie Rocher, région Pays de la Loire et Centre

Projet d’envergure européenne, estimé à 52 millions d’euros, « La Loire à vélo » permettra à terme de rejoindre Cuffy (Cher) à Saint Brévin les Pins (Loire Atlantique). Un premier tronçon, de 150 km entre Angers et Tours a été inauguré en juillet 2005. Il donne un avant goût de cet itinéraire long de 800 km -coût moyen du km 65 000 euros- qui devrait être achevé à l’horizon 2008.

« Le projet remonte à une dizaine d’années », explique Hélène Guerlais, ingénieur paysagiste chez Altermodal. Ce bureau d’études a travaillé en amont sur le tracé et a été aussi participé à la maîtrise d’œuvre d’une partie des infrastructures réalisées en Indre et Loire.

De nombreuses contraintes ont dû être prises en compte : « Comme nous travaillons en site protégé, tous les travaux dans le lit de la Loire sont soumis à étude d’impact faunistique et floristique. L’enrobé a été banni. Les voie s cyclables nouvelles sont revêtues d’un stabilisé renforcé ou par du béton dans les secteurs inondables

« Dans le choix du tracé de l’itinéraire, poursuit la jeune femme, nous essayons au maximum de rester en contact avec le fleuve, mais ce n’est pas toujours aisé. Entre Montlouis et Amboise, les cyclistes feront un détour par le coteau et découvriront le vignoble et des panoramas sur la vallée de la Loire. Le parcours, plus sportif, empruntera des chemins ruraux, des voies à faible circulation »

La région Centre prévoit de faire réaliser sur certaines aires de pique nique des micro-jardins de 200m² avec le concours d’écoles du paysage.

L’allée royale de Senart : une liaison douce monumentale

© dessin : agence Laverne
photo Agence des espaces verts IDF

« L’allée royale est une anti piste cyclable : cette infrastructure qui s’inscrit dans un maillage francilien et européen de liaisons douces a l’échelle d’une autoroute ! » insiste Thierry Laverne. Lauréat du concours international de maîtrise d’oeuvre lancé en 2000 par l’agence Espaces verts de la région Ile de France, le paysagiste a été chargé de l’étude et de la réalisation reliant aujourd’hui la forêt domaniale de Sénart et la forêt régionale de Rougeau.

Thierry Laverne a décidé de mettre en scène la campagne que cet ancien axe historique, créé pour le roi Louis XV, traverse : « 250 séquoias ont été plantés tous les 20 m sur chacune des deux rives de cette promenade de 50m de large et de 5,5 km de long. Ce double alignement végétal redonne une structure au paysage. Pour l’instant ces jeunes sujets ne se voient pas trop mais dans dix ans, ils paraîtront plus importants que la Francilienne et dans 3 000 ans ils seront toujours là ! Ces arbres royaux donnent à la fois l’échelle du temps et de l’espace.»

Les séquoias délimitent une vaste prairie centrale, plantée de 1 500 arbres fruitiers, d’une cinquantaine de variétés différentes, parmi lesquels beaucoup de pommiers anciens.

Cyclistes et promeneurs, d’une part, cavaliers d’autre part, disposent de deux allées distinctes. Vélo-route pharaonique, l’allée royale devrait demain être empruntée par les futurs habitants du futur Carré Sénart, aussi bien dans le cadre de déplacements quotidiens que dans un but de promenade.

© textes : Carine Lenfant

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