LA PROTECTION DES QUARTIERS PITTORESQUES Dix ans après sa création, la procédure des ZPPAUP, conçue pour préserver les centres des villes, reste peu appliquée " Instituées par la loi de décentralisation du 7 janvier 1983, les ZPPAU -rebaptisées ZPPAUP depuis la loi du 8 janvier 1993 sur le paysage - ont permis de clarifier les règles du jeu. La procédure, déconcentrée, est en effet menée de manière conjointe par les collectivités locales et les services extérieurs de l'Etat ", explique Brigitte Mazière, sous-directeur des espaces protégés au ministère de l'équipement. Originalité du dispositif : les règles à respecter pour la gestion du patrimoine sont négociées entre les maires et les architectes des bâtiments de France (ABF). Les servitudes, clairement précisées dans un règlement annexé au POS, s'imposent donc à l'un comme à l'autre des partenaires. " Certains élus supportaient fort mal les interventions de l'administration. Les ZPPAUP ont donc parfois été vécues, à tort, comme une déréglementation leur permettant de sortir des griffes des ABF ", souligne Marc Gérault, inspecteur des sites à la direction régionale de l'environnement (DIREN) d'Ile-de-France. Consultés obligatoirement _ au cas par cas _ pour les travaux effectués à l'intérieur d'un rayon de 500 mètres autour d'un édifice ou d'un site classé, les ABF sont souvent soupçonnés de rendre des avis arbitraires, s'imposant néanmoins aux tiers. Ils sont pourtant les premiers à reconnaître que ce périmètre - institué par la loi de 1913, modifiée en 1943, sur les abords des monuments historiques et par la loi de 1930 sur les sites - se révèle trop rigide et inadapté au contexte local. " Dans le Finistère, près de 700 monuments historiques et plus de 200 sites naturels sont protégés. 250 communes sur 283 sont concernées par des protections, mais celles-ci ne représentent pas pour autant l'ensemble du patrimoine architectural et naturel. Plus de mille chapelles ont été recensées et très peu de villages ou de quartiers sont protégés en tant que tels ", constate Alain Marinos. Chef du service départemental d'architecture, il estime que certains périmètres peuvent, en revanche, aisément être " dégonflés ". A chaque fois qu'un calvaire ou un dolmen est classé, 78,5 hectares tombent dans son escarcelle. Conséquence logique : " La population, qui ignore qu'une butte de terre peut masquer des tombes de l'âge du bronze, rejette les servitudes générées par la protection d'un tumulus sur les trois quarts des permis de construire, ou de démolir, délivrés alentour. " Les ZPPAUP à thème archéologique - créées à Huelgoat, La Feuillée, Berrien et Brennilis - ont permis de protéger certains mégalithes à leur juste valeur.Alors que de nombreux départements n'en ont encore aucune, le Finistère compte déjà vingt ZPPAUP créées ou sur le point de l'être" Les maires font rarement le premier pas, faute de connaître la procédure ", relève Pierre Chatauret, conseiller technique à la sous-direction des espaces protégés. Lorsque les élus manifestent le souhait de lancer une étude sur leur commune - une délibération du conseil municipal est nécessaire - l'idée leur en a généralement été soufflée par des associations locales spécialisées dans la sauvegarde du patrimoine ou par les fonctionnaires à qui incombe cette responsabilité. Inquiets de voir remis en cause leur pouvoir régalien, certains, comme Olivier de Bergevin qui, avant de prendre sa retraite se vantait qu'une seule ZPPAUP, sur la " ville haute " de Provins (Seine-et-Marne) ait vu le jour dans son secteur, ont traîné les pieds. Mais la plupart ont pris leur bâton de pèlerin. " Mieux vaut être conseil que gendarme, on arrive ainsi à prévenir tout conflit, confie Emmanuel Payen, ABF en Dordogne. Cependant, la procédure, certes déconcentrée, reste entachée d'une certaine lourdeur administrative. " Autre handicap : la commune est censée financer les études à parité avec l'Etat. Si le coût moyen de ces dernières était estimé, en 1991, à 65 000 francs -soit l'équivalent de huit à quinze jours d'intervention d'un bureau d'études de petite taille - les disparités peuvent être grandes de l'une à l'autre (de 30 000 à 450 000 francs selon la complexité des dossiers). Une charge souvent jugée bien lourde à assumer. Les DIREN, chargées de gérer les crédits tardant parfois à répondre aux sollicitations des municipalités, beaucoup renoncent à leur projet. Rares sont les communes suffisamment déterminées qui, comme Lagny (Seine-et-Marne) ou Sainte-Alvère (Dordogne), décident de financer à 100 % leurs études. Une opinion partagée par Yves Baron, directeur du développement urbain de la ville de Quimper : "Lancée dans le cadre de la révision du POS début 1985, la ZPPAUP mise en place sur tout le centre historique nous a permis de faire évoluer le POS de manière intelligente : les gabarits, la typologie du bâti sont ainsi respectés. La philosophie des protections, donnée par la chargée d'études, a été retranscrite dans le POS, mais nous avons évité de fixer un cadre trop réglementaire, précise-t-il. Le document remis aux pétitionnaires doit être souple et facilement utilisable : nous sommes chargés de la gestion au quotidien... " " Les protections ne sont pas une fin en soi, c'est ce qui appartient à la mémoire collective de la commune, ce qui a forgé son identité qui compte ", estime Daniel Duché, un architecte-urbaniste qui a mené une dizaine d'études sur des secteurs très divers par leur taille et les problèmes posés. Partout, il a préconisé " de protéger les éléments qui, s'ils étaient détruits, oblitéreraient l'image de cette culture. "Les ZPPAUP ne sont pas pour autant, selon lui, " des cloches à fromage " : " Si l'on s'efforce de repérer les traces de l'évolution de la ville, les éléments de fracture, il faut aussi pouvoir réfléchir au développement urbain. A Josselin (Morbihan), se sont posées des questions de frange par rapport au coeur historique. Il faut aborder franchement la question des lotissements, du mitage. Les blessures ne sont pas toutes irréversibles. Grâce aux ZPPAUP, certaines peuvent être cicatrisées... " Encore faut-il que tous les acteurs de l'aménagement s'y emploient. Chargée de plusieurs études dans le Périgord et dans la région parisienne, Dominique Dryjski n'a jamais manqué d'y associer les directions départementales de l'équipement, les services régionaux de l'inventaire et les directions départementales de l'agriculture : " Le paysage est en constante mutation. "Les ZPPAUP ont naturellement investi le champ des petits bourgs et des villages, très attentifs à leurs racines. La première a vu le jour en 1986 à Pressily (Haute-Savoie, 474 habitants), plus de la moitié concerne des communes de moins de 2 000 personnes. Les premières ZPPAUP intercommunales ne devraient pas tarder à aboutir, en Dordogne notamment, où deux projets concernent respectivement cinq et sept villages.Les grandes métropoles régionales s'intéressent désormais à la procédure. Des études ont été menées récemment sur les pentes de la Croix-Rousse à Lyon et sur l'avenue Henri-Barbusse à Villeurbanne, bordée de " gratte-ciel " construits dans les années 30, mais aussi sur tout le périmètre de Neuilly-sur-Seine (350 hectares, 65 000 habitants). D'autres projets pourraient voir le jour prochainement à Paris.L'importance de ces dossiers ne doit pas masquer une sombre réalité : partout, l'Etat se désengage. Quelques ABF avouent d'ailleurs leur perplexité : " Au nom d'impératifs budgétaires, on nous dissuade indirectement d'initier de nouvelles études. Après avoir lancé la machine, voudrait-on maintenant la saborder ? " Les ABF, de leur côté, opèrent des choix : " Une ZPPAUP, c'est long à piloter. On privilégie les municipalités à l'écoute ", admet volontiers Gérard Goudal, ABF dans l'Essonne, département soumis à de fortes pressions foncières et où a été créée à Milly-la-Forêt, la première ZPPAUP d'Ile-de-France. Si l'inventaire du patrimoine architectural et paysager, dressé par le chargé d'études, ne suscite guère de controverse, les blocages surviennent généralement lorsqu'il faut passer à la rédaction du règlement, à l'énoncé clair de la servitude, surtout lorsque celle-ci prône l'inconstructibilité totale dans un secteur donné ! Alors que de nombreux départements (Haut-Rhin, Bas-Rhin, Puy-de-Dôme, Eure, Indre-et-Loire, Landes pour ne citer qu'eux) n'en comptent encore aucune, le Finistère remporte la palme avec 20 ZPPAUP créées ou sur le point de l'être. " Les maires, lorsqu'ils gèrent l'aménagement de leur commune, n'ont à leur disposition que les POS. Or les POS se révèlent avant tout des instruments de gestion du foncier. La ZPPAUP, insiste Alain Marinos, est un outil fantastique puisqu'elle permet d'introduire une dimension culturelle de l'espace. " L'exemple de Brantôme La ZPPAUP de Brantôme, petite cité de 2 175 habitants construite en majeure partie sur une île enserrée entre deux bras de la Dronne, a été la première de Dordogne, mais aussi d'Aquitaine. Si l'arrêté préfectoral n'a été pris qu'en mai 1990, le principe d'une étude avait été adopté par le conseil municipal dès juillet 1983. Caractérisée par un ensemble d'édifices médiévaux et de la Renaissance, " la petite Venise du Périgord " compte -outre sept monuments historiques et un site classé- de très jolies façades, restaurées au dix-neuvième siècle dans le style néo-classique. " Quand on leur a montré ce qui faisait la valeur de cette architecture, les élus et les représentants des commerçants se sont montrés enthousiastes ", confie Alain de la Ville, un architecte qui a été étroitement associé à la révision du POS, conduite simultanément par la DDE. " J'ai pu intervenir à chaque fois que se posaient des problèmes de classification de zones dans le périmètre sensible. " Il a préconisé certaines options de développement, " dont l'effet ne sera pas perceptible avant vingt ans... ". La mise en forme du règlement, où figurent les prescriptions en matière d'alignement, d'implantation du bâti et de mise en valeur des perspectives, n'a été achevée qu'en 1986. Des compromis ont dû être trouvés : " Ce document était perçu comme une contrainte. " Un débat a été engagé avec la population en 1988." Les ZPPAUP sont les tables de la Loi, et l'ABF est le gardien du Temple. Quand quelqu'un s'installe à Brantôme, on lui demande de prendre connaissance des règles urbaines et architecturales établies sur le centre ancien et sur les secteurs proches d'espaces très sensibles ", explique le maire (sans étiquette), Philippe Laxton. Un document, rédigé volontairement sous une forme concise et accessible, a été édité spécialement. " Lorsque les études de ZPPAUP ont commencé à germer en Dordogne, j'ai trouvé aberrant qu'elles restent confidentielles ", explique Emmanuel Payen, chef du service départemental d'architecture. Cette plaquette, embryon d'une collection prometteuse, permet à celui qui veut engager des travaux de respecter le style des ouvertures, des percements ou des couvertures traditionnels et au visiteur de passage de mieux appréhender la qualité du patrimoine Si aucune ZPPAUP ne peut voir le jour sans la
volonté expresse des municipalités, la décision de
la créer est du ressort du préfet de région,
après consultation du Collège régional du
patrimoine et des sites (CRPS). " Cette instance ne comprend ni
élus ni représentants de l'Etat, mais des experts
bénévoles : un tiers de personnalités
qualifiées, un tiers de professionnels de la construction
(architectes, urbanistes) un tiers de représentants
d'associations, soit douze à dix-huit titulaires et autant de
suppléants, nommés pour cinq ans ", explique Régis Néret, président du CRPS de la région Rhône-Alpes. Si
ce dernier est issu du mouvement associatif, Henri Bonnemazou, qui
assume les mêmes responsabilités en Ile-de-France, est,
lui, directeur du CAUE (Conseil d'architecture, d'urbanisme et
d'environnement) des Yvelines. Son homologue en Aquitaine, Bruno
Fayolle-Lussac, est historien de l'art. Entre la délibération pour la
mise en oeuvre d'une étude et l'approbation de cette
dernière par le conseil municipal, il peut s'écouler
entre deux et trois ans. Délai jugé bien long, qui
s'explique par le temps de constitution du groupe de travail et de "
respiration " des études, mais qui a de quoi décourager
plus d'un maire, surtout en période électorale... Entre
le premier et le deuxième avis du conseil municipal, il faut
encore compter sept mois, justifiés par des aller et retour
entre la ville et l'administration. Puis vingt et un mois
supplémentaires entre la mise à enquête publique,
l'avis rendu par le Collège et la publication de
l'arrêté de ZPPAUP. Délai parfois rallongé
pour peu que l'ABF, entre-temps, ait changé de
département ! Des contentieux rarissimes La ZPPAUP s'impose aux particuliers
(l'enquête publique a permis à chacun de s'exprimer),
à la commune (elle prime sur le POS), mais aussi à
l'Etat, c'est-à-dire à l'ABF. Celui-ci a pour mission de
vérifier que les demandes d'autorisation sont conformes aux
dispositions de la ZPPAUP. Des divergences apparaissent entre l'ABF et
le maire sur l'interprétation des textes ? L'élu peut en
appeler à une sorte d'arbitrage du préfet de
région. Dans les faits, les contentieux
sont rarissimes, preuve s'il en était besoin que la ZPPAUP
remplit parfaitement son rôle. © Carine Lenfant |