Connaître la valeur du patrimoine pour mieux le préserver

(aticle paru dans Les cahiers de l'Anah N° 111 

© photos : CAUE 30 & Carine Lenfant


Toute construction neuve, toute transformation de bâtiment ancien, toute réhabilitation devrait respecter le site où elle s'insère. Les modes de bâtir différent beaucoup selon les régions, mais ils présentent néanmoins des caractères architecturaux homogènes. Créé en 1979, le Conseil d'architecture d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) du Gard s'efforce depuis vingt-cinq ans de sensibiliser maîtres d'ouvrage publics et privés à ce patrimoine architectural

Le Gard, si l'on en croit l'Insee, devrait accueillir 500 000 personnes supplémentaires d'ici - de quoi inquiéter certains élus qui voudraient pouvoir favoriser le développement local sans renier pour autant l'héritage fragile qui fait le charme de ce département constitué d'entités très différentes (voir encadré)…

"Le paysage souffre d'une trop faible prise en compte dans les politiques d'aménagement et il est menacé de banalisation, constate Alain Journet, président du Conseil général, dans son introduction au Schéma départemental du paysage. Il constitue pourtant un atout majeur du développement local qui s'exprime notamment en matière d'image de marque, d'attrait touristique, d'implantation d'activités nouvelles ou encore de commercialisation des produits agricoles. Il est donc urgent d'agir non seulement pour le préserver mais aussi et surtout, pour lui reconnaître un véritable rôle social et économique."

L'harmonie d'un site peut être soudain mise à mal par l'implantation de constructions neuves, ou des transformations brutales de bâtiments anciens ne respectant pas les mises en œuvre traditionnelles. "L'habitat que nous ont laissé les générations passées représente un témoignage des usages et des savoir-faire d'hier. Expression de la culture populaire, il constitue le patrimoine architectural de notre département au même titre que les bâtiments plus prestigieux" explique Anne-Marie Llanta, architecte au CAUE 30.

L'accroissement de la population, souvent originaire d'autres régions, a généré dans le Gard, comme dans le reste du midi, une prolifération de maisons isolées et de lotissements s'intégrant souvent fort mal dans l'environnement. "Des maladresses ont été commises, par ignorance, mais aussi parce que le souhait du candidat à la construction correspond bien souvent à une image stéréotypée, identique aux modèles banalisés diffusés sur l'ensemble du territoire et non à l'authenticité du pays où il souhaite vivre."

Conformément aux missions que lui a confiées la loi sur l'architecture de 1977, le CAUE 30 s'efforce de sensibiliser élus, instructeurs de permis de construire, particuliers, enseignants et enfants. Des expositions itinérantes sont mises sur pied, des cahiers de recommandations architecturales et paysafères diffusées . Tout cela dans un même but : Il s'agit de faire comprendre que toute intervention sur le bâti peut être lourde de conséquences, même à une très petite échelle.

Implantée au cœur d'un village ancien, d'une ville, en périphérie ou sur un terrain isolé, une construction ne se trouve jamais seule : "Bien observer les composantes du site paysager et bâti, les analyser et les intégrer dans la conception du nouveau bâtiment, participe à la cohérence de ce qui l'entoure et renforce son identité " insiste Anne Marie Llanta.

Les maisons traditionnelles

Matériau le plus couramment utilisé dans la construction du Moyen-Age au début du XXè siècle ? La pierre, abondante et facile à extraire localement. Les roches présentes -calcaire (Garrigues), schiste (Cévennes), ou granit selon les zones géologiques- sont utilisées en tout venant pour le gros œuvre. Pour les parois des étages, on utilise parfois la pierre sous forme de blocs, appelés "bugets". La pierre de taille s'emploie surtout, sinon, dans les encadrements de portes et de fenêtres. Le schiste se dilatant, le calcaire ou le granit servent pour les linteaux, les chaînages d'angles et les pieds droits. Le bois n'est utilisé que pour les solives des planchers et le support de couverture (les pannes essentiellement). La brique reste réservée aux dépendances et bâtiments modestes.


Contrairement au reste de la France, où cette pratique n'est apparue qu'au cours du XIXè siècle, les murs sont hourdés au mortier de chaux depuis l'époque Romaine. Ce mortier s'emploie aussi pour réaliser des enduits : enduits à joints beurrés, dits "à pierres vues", ou enduits talochés, présentant une surface dressée, grattée ou lissée. Des galets et des briques sont parfois associés

Compte tenu des tendances actuelles, de nombreux parements, prévus pour être enduits, laissent désormais apparaître la pierre. L'enduit n'était pourtant pas qu'un élément de décor : il jouait un rôle de protection des eaux de pluie. Dans les Cévennes, le granit est très souvent laissé à l'état naturel. Dans les appareillages, souvent grossiers et irréguliers, certaines pierres sont parfois calées entre elles par des éléments d'autre nature.

La couleur de l’enduit varie selon le type de sables utilisés. En général, les tons plus sombres sont utilisés sur des façades bien éclairées et dégagées, les tons plus clairs sur des façades moins exposées au soleil. Une ruelle étroite gagne toujours à être éclaircie, une place aérée supporte des coloris plus soutenus. Les débords des toitures (avant-toits, génoises) sont généralement traités en tons plus clair, en harmonie avec ceux du fond. Des chaînes d'angles et des bandeaux très clairs peuvent souligner la façade.

Les bâtiments sont toujours implantés en fonction d'une orientation dictée par le climat : le chaud et le froid jouent un rôle essentiel. La façade au sud (percée) peut être légèrement déviée, de manière à se trouver protégée du Mistral. Peu d'ouvertures sont créées à l'est, où soufflent des vents porteurs de pluies. Les contraintes du site sont toujours prises en compte : sur un terrain très accidenté (du côté des Cévennes), le volume de base est perpendiculaire aux courbes de niveaux. Les extensions réalisées en « épis parallèles », sans souci logique d’alignement

L'habitat de climat chaud, caractérisé par la réalisation d'enceintes lourdes, à forte inertie thermique, se prête mal à l'abondance de percements. En milieu urbain comme en milieu rural, ces ouvertures présentent traditionnellement une forme rectangulaire, où la hauteur est nettement supérieure (de 40% au moins) à la largeur. Au dernier niveau cependant les formes peuvent varier du rond au carré, du fait de la hauteur sous combles

Les portes et fenêtres sont étroites. Réalisés en bois, pierre monolithe, bloc de pierre taillé ou éléments de terre cuite posés sur champ, leurs linteaux sont droits ou légèrement cintrés, exceptionnellement plein cintre dans certaines maisons cossues du XIXe siècle. Ouvrages coûteux, les baies larges sont réservées aux portails et portes cochères. Leurs linteaux droits ou cintrés, en arcs surbaissés tendus, "anse de panier" ou arc plein cintre, sont réalisés en pierre, brique ou bois.

Les menuiseries en bois des croisées sont de type ouvrant à la française, à un ou deux vantaux, avec ou sans imposte et bois horizontaux, créant trois ou quatre compartiments vitrés rectangulaires verticaux. Constitués d'un bâti et de lames larges, les portes, les volets et les portails sont en bois. Rabattables en façade, les volets participent ainsi à son animation.

La maison rurale simple présente des façades peu percées. La composition de ces dernières est tributaire des extensions multiples du bâti d'origine et de la destination de chaque local (habitation, vocation agricole ou pastorale). Elle est bien souvent réalisée sans souci logique d'alignement, sans recherche particulière.


La maison de maître ou de propriétaire terrien, la maison bourgeoise de village ou de hameau obéissent à des règles de composition plus strictes. Les ouvertures, plus nombreuses, ont souvent les mêmes dimensions sur un même étage. Les fenêtres sont alignées horizontalement et axées verticalement, disposées dans un ordre hiérarchique décroissant, du rez-de-chaussée aux étages, les pignons étant eux peu percés.

Ces caractéristiques se retrouvent aussi bien en zone de montagne (Cévennes, Causses) qu'en zone de plaine (Costière, vallée du Rhône) à l'exception de la petite Camargue ou les cabanes de gardians présentent des ouvertures proches du carré, voire du rectangle horizontal.


L'emploi de la tuile pour la couverture (tuile ronde dite "canal" ou encore tuile romaine) est généralisée dans les régions productrices d'argile. En Camargue, zone de marécages, les maisons de gardians possèdent des couvertures en roseaux, tandis que dans les montagnes des Cévennes, les toitures anciennes ont été réalisées en lauzes de schiste.

En usage depuis le XVIIIè siècle, la génoise est une technique de mise en œuvre des têtes de murs : si sa vocation première a pour but d'assurer l'étanchéité du bas du rampant de la toiture et d'éviter le soulèvement des tuiles au vent, elle est devenue un ornement courant sur la plupart des maisons régionales. A un ou deux rangs, avec ou sans filet (carreau de terre cuite posé horizontalement entre deux rangs de tuiles canal), elle témoigne souvent de l'aisance du propriétaire.

Bâtiments isolés, hameaux et villages constituent la typologie de l'habitat rural. Dans les hameaux, les maisons sont regroupées sans souci de logique d'alignement, sans aménagement extérieur public, hormis la fontaine et l'abreuvoir, parfois le four à pain. L'architecture, fonctionnelle, se veut évolutive : les besoins sont liés à l'agrandissement de la famille ou aux activités. Très simple au départ, la construction permet l'accumulation de volumes multiples

L'habitat isolé prend plusieurs formes : le mas - groupe de bâtiments comprenant cellier, caves, remises, écuries, habitation, pigeonnier- connaît son expansion aux XVI et XVIIè siècles. Il est occupé par de grandes familles nobles ou bourgeoises. Les volumes sont importants, les toits présentent deux ou quatre pentes. Dans les exploitations moyennes, les bâtiments s'apparentent à l'habitat du hameau.

La "maison" des champs, implantée sur de grandes propriétés, sert d'abri au matériel mais aussi d'habitat succinct et occasionnel (capitelle en pierre sèche dans les Garrigues, cabane du littoral ou de Camargue).

Les agglomérations, nées au cours de XI et XIIè siècles, fortifiées à partir du XIIIè, sont constituées de maisons implantées autour d'un noyau original (tour ou résidence seigneuriale) ce qui donne sa forme circulaire au village. Les rues dessinent des courbes autour du noyau. Implanté extra muros, le château a été édifié sur une hauteur. Une fois comblés, les anciens fossés, sont devenus voies de circulation.


La maison de village présente un plan au sol étroit, un bâtiment unique - c'est "la maison bloc" des Costières de Nîme- regroupant toutes les fonctions sous le même toit. Ce volume comporte généralement trois niveaux : le premier (voûté) et le troisième sont consacrés à l'exploitation, le second à l'habitation, desservie par un escalier extérieur.

Avec l'expansion de la viticulture, un type de maison vigneronne apparaît dans l'extension des villages à partir de 1830. Le volume comporte deux à trois niveaux. Dans la façade régulière et ordonnancée, est créée une grande porte palière.

© Carine Lenfant

Encadré :

"Le Gard est un département composé de six entités très différenciées, confie Alain Bourbon, directeur adjoint du CAUE 30. Au nord-ouest, il y a les Cévennes, dominées par les mont Aigoual et Lozère. L'homme s'est accroché à ces pentes, les modelant en terrasses. Il a su regrouper autour des nombreuses sources un habitat en hameaux dispersé dans la montagne. Au sud ouest, on trouve les Causses calcaires : les villages y sont rares, un peu éclatés, posés à la limite des zones cultivées. Basses et massives, les fermes isolées s'accrochent à la terre. Dans les garrigues, pays de la pierre, de l'olivier et de la vigne, les vallées forment de larges cuvettes. Les silhouettes se détachent au sommet de collines sèches. La vallée du Rhône est un lieu de passage : au pied des versants calcaires abrupts, s'allongent des terres basses cultivées en vergers et maraîchages entre deux haies de peupliers ou des terrasses couvertes de vignobles; C'est ici que se sont développées d'immenses usines.

Entre garrigue sèche et littoral s'allonge la Costière, qui prolonge le couloir languedocien. Les cultures, protégées du vent par les haies, sont plus variées dans la plaine que sur les cailloux des reliefs où dominent vignes et vergers. L'habitat est regroupé dans de petites bourgades qui grandissent sous l'influence de l'agglomération de Nîmes. Grandes bâtisses fortifiées, les mas sont dispersés dans la campagne. Entre Méditerranée et canal, la Camargue est une terre de marécages, de vent et du sel.

© Carine Lenfant

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