LES RESEAUX DES LABELS HISTORIQUES Pour faire connaître et mettre en valeur leur patrimoine certaines cités se sont regroupées dans des associations encore mal connues du public Cent-vingt communes, ou groupements de communes, ont adhéré au réseau des " villes et pays d'art et d'histoire ", qui reste encore méconnu du grand public. " Le label "Ville d'art" est apparu dès 1967 pour aider à faire connaître et apprécier les secteurs sauvegardés qui venaient d'être créés par André Malraux ", rappelle Marie-José Carroy-Bourlet, responsable du département des relations avec les collectivités territoriales, à la Caisse nationale des monuments historiques et des sites (CNMHS). Pour obtenir ce label, décerné par la CNMHS, établissement public placé sous la tutelle de la direction du patrimoine, il suffisait qu'une ville s'engage à organiser des visites guidées dans les quartiers anciens, visites programmées à heures fixes en période estivale et conduites par un personnel qualifié de guides-conférenciers.En 1975, quarante-huit municipalités avaient signé ce type de convention : cinq ans plus tard, quatre-vingts. Parmi elles : Aix-en-Provence, Avignon, Beauvais, Bordeaux, Grenoble, Honfleur, Le Puy, Lille, Metz, Saint-Denis, Strasbourg, Toulouse, Vaison-la-Romaine notamment. " Les municipalités ayant pris peu à peu conscience de la valeur du patrimoine, poursuit Marie-José Carroy-Bourlet, une réflexion plus vaste s'est engagée. Le constat dressé en 1983 nous a conduits à penser qu'une politique touristique de qualité imposait que l'on implique aussi le public local, qu'on le sensibilise au patrimoine, afin qu'il comprenne mieux les raisons de la sauvegarde. "En 1985, de nouvelles conventions, baptisées " Villes et pays d'art et d'histoire " ont donc été proposées aux municipalités. Il ne s'agit plus seulement de montrer les centres historiques, les monuments célèbres ou les sites prestigieux, mais d'expliquer aux visiteurs comment les villes se sont développées et transformées au fil des siècles. En faisant découvrir leur organisation spatiale et volumétrique, les empreintes successives des pouvoirs politiques, religieux et économiques, le façonnement des paysages par l'activité artisanale, industrielle ou agricole. Au travers de ce partenariat entre les collectivités et l'Etat, trois autres objectifs sont également poursuivis : " Il s'agit, d'une part, d'apprendre aux habitants à regarder l'architecture, à voir, à mieux comprendre leur environnement quotidien ; d'autre part, de sensibiliser les jeunes mais aussi d'améliorer l'accueil du public, en intervenant, par exemple, sur la signalétique - ce qui suppose une réflexion sur l'aménagement de la ville - , en organisant des expositions et des animations ", explique Jean Rouger, adjoint aux affaires culturelles de la ville de Saintes.En signant ces conventions, les maires s'engagent à salarier à plein temps un " animateur du patrimoine ", recruté par concours et agréé par la CNMHS, ainsi qu'à lui donner les moyens nécessaires à la réalisation de ses missions. En échange, la CNMHS apporte son appui technique, promotionnel et financier : elle attribue des subventions forfaitaires les deux premières années de mise en route, participe aux épreuves de sélection, organise des stages de formation à l'intention des guides-conférenciers, souvent en étroite collaboration avec les directions régionales des affaires culturelles (DRAC)." "L'approche n'est pas celle d'un conservatisme étriqué" insiste Christian Gentsbeitel, animateur du patrimoine à Saintes et historien de l'art de formation. Quelle valeur accorde-t-on au patrimoine ? Que met-on derrière un secteur sauvegardé ? Veut-on figer une ville, établir de nouveaux rapports ? Ce type d'interrogations se révèle passionnant. La force du réseau, c'est qu'on ne fait pas la promotion de monuments isolés mais d'ensembles urbains, qu'on ne cherche pas à capter un seul public mais des publics différents. " Ce réseau, justement, comprend aujourd'hui soixante " villes d'art " qui n'ont pas tenu à changer de statut-et quarante-sept " villes d'art et d'histoire " Un groupe de parlementaires s'efforce de sensibiliser les élus des petites villes à leurs richessesculturelles Si trente-trois nouvelles adhésions ont été enregistrées depuis 1985, quinze villes ont jugé bon d'aller plus loin et de réactualiser leurs anciennes conventions. Bourges, Menton ou Vannes notamment. Des communes possédant un patrimoine moins homogène, comme Montbéliard, ainsi que des collectivités à dominante rurale se sont lancées à leur tour dans l'aventure, sous une appellation légèrement différente. Les " pays d'art et d'histoire " sont déjà au nombre de treize. " En se rapprochant, les communes de Najac, Sauveterre-en-Rouergue, Villefranche-de-Rouergue et Villeneuve-d'Aveyron, dont la population oscille entre 4 000 et 13 000 habitants, acquièrent ainsi une notoriété plus grande ", constate Claude Calmettes, architecte-conseil de Villefranche-de-Rouergue et fondateur du Centre d'études des bastides.Certaines régions se montrent particulièrement dynamiques : Poitou-Charentes compte à elle seule quatre " villes d'art et d'histoire " (Angoulême, Poitiers, Saintes, Rochefort), trois " pays d'art et d'histoire " (le Montmorillonnais, Nouaillé-Maupertuis, Parthenay) et deux " villes d'art " (Chauvigny et Montmorillon). Aussi, pour mieux coordonner leurs efforts, les élus concernés ont-ils décidé, en mars 1991, de constituer une association. Objectifs poursuivis : " Mettre en valeur le patrimoine régional, assurer la promotion et la défense du label, échanger des informations, engager des actions de formation, organiser et vendre des circuits régionaux. " Angoulême se déclare satisfaite des retombées : " On se retrouve sur tous les circuits de l'art roman ", explique Jean Mardikian, adjoint au maire." Le tourisme culturel est en plein développement , constate Michel Bouvard, député (RPR) de Savoie et président du groupe d'études " villes et pays d'art et d'histoire " à l'Assemblée nationale. Ce groupe, qui comprend soixante-dix parlementaires, s'efforce, tout comme celui constitué au Sénat, de sensibiliser les élus des petites villes au patrimoine _ " ceux des grandes régions historiques sont déjà convaincus ". L'initiative n'est pas dénuée d'arrière-pensées : " Le tourisme culturel permet de drainer des populations, de créer, ou du moins de maintenir, des emplois locaux ". Quelques villes qui avaient cru, en posant leur candidature, obtenir facilement des subventions ont dû se rendre à l'évidence : conclue pour une durée de deux ans, mais tacitement renouvelable, la convention signée avec la CNMHS les engage. Le label peut leur être retiré. Certaines communes ou des groupements de communes l'ont appris à leurs dépens : le district urbain de Mantes-la-Jolie a été déclassé ; quant à Montpellier, elle a été purement et simplement exclue du réseau ! Cette vigilance, qui assure la crédibilité du label, ne s'exerce malheureusement pas partout. Si des associations comme " Les petites cités de caractère " et " Les plus beaux villages de France " n'acceptent pas toutes les candidatures, elles n'ont ni l'une ni l'autre jamais exclu un seul de leurs adhérents... " Les " petites cités de caractère " sont généralement d'anciennes villes dont les activités commerciales, administratives ou artisanales ont disparu ou ont périclité avec la révolution industrielle. Implantées dans des sites pittoresques, elles possèdent un patrimoine architectural imposant, hors de proportion avec leur taille (moins de 3 000 habitants agglomérés au chef-lieu de la commune) et leurs moyens financiers ", explique Jean-Bernard Vighetti, directeur de l'office du tourisme de Rennes et secrétaire national de la conférence permanente du tourisme urbain, à l'origine de l'initiative, en 1977.Parti de Bretagne, région qui compte désormais douze " petites cités de caractère " -dont Locronan (Finistère), Lizio ou Malestroit (Morbihan) - ce mouvement a essaimé : une association similaire a été créée dans les Alpes-de-Haute-Provence, une seconde en Franche-Comté en 1990, sur des critères assez voisins. Cette dernière a homologué en trois ans vingt-trois candidatures, parmi lesquelles Ornans (Doubs), Château-Chalon (Jura), Faverney (Haute-Saône) ou Giromagny (Territoire-de-Belfort). " Il s'agit de petits centres urbains implantés en milieu rural, au passé attesté, comptant de 100 à 4 000 habitants ", souligne Quittrie Calmettes, urbaniste et chargée de mission. L'Association des cités de caractère de Franche-Comté joue beaucoup sur la mobilisation des élus : " En adhérant au réseau, ces derniers s'engagent à developper des synergies dans le domaine du patrimoine, à préserver une identité régionale forte. ".Maire de Collonges-la-Rouge (Corrèze), Charles Ceyrac a préféré, lui, faire cavalier seul et fédérer " ces villages perchés, villages-forteresses, villages-jardins, acteurs de grandes épopées ou simples témoins de la vie quotidienne ou du savoir-faire d'une époque " au sein d'une association concurrente, " Les plus beaux villages de France ", qui bénéficie d'une notoriété certaine. 129 communes très préservées, dont Gordes et Lourmarin (Vaucluse), Gerberoy (Oise) ou l'île de Sein (Finistère), se signalent ainsi à l'attention des touristes par un panonceau identique." Nous travaillons sur les mêmes thématiques que les " petites cités de caractère " admet Jean-Claude Valeix, délégué général de cette association 1901 constituée en 1982. Notre positionnement diffère légèrement dans la mesure où seules les communes à caractère rural - c'est-à-dire comptant moins de 2 000 habitants - peuvent poser leur candidature. " Si les " plus beaux villages de France " doivent se distinguer des autres par une qualité urbanistique et architecturale indéniable - attestée au minimum par un périmètre de protection autour d'un monument ou d'un site inscrit ou classé - les élus doivent aussi manifester, au travers de réalisations concrètes, une réelle volonté de mise en valeur, de promotion et d'animation du patrimoine.La maîtrise de la circulation automobile, l'organisation du stationnement, le traitement des lignes de téléphone ou d'électricité, celui de l'éclairage public ou de la publicité sont au nombre des critères examinés par la commission de sélection. Au même titre que les efforts menés en direction du public : existence de points accueil-information, édition de documents, etc. Une charte de qualité, adoptée en 1991, prévoyait bien de " définir les modalités d'attribution, d'usage et de retrait de la marque ", mais elle n'a été contractualisée à ce jour que pour 85 villages. La situation de 44 autres doit donc être régularisée. " Certains ne seraient pas reconnus " plus beaux villages de France " s'ils posaient aujourd'hui leur candidature, soupire Jean-Claude Valeix. Il aurait fallu faire un peu de ménage. Les étiquettes du tourisme Les " restaurants de caractère ", implantés dans des châteaux, de vieux hôtels particuliers, des moulins ou d'anciens presbytères, se rencontrent en Bretagne. " Il fallait décliner le label en matière de restauration ", assure Jean-Bernard Vighetti, directeur de l'office de tourisme de Rennes. Si la qualité du cadre est attestée par les architectes des Bâtiments de France, nommés à la tête du jury de sélection dans chaque département de la région, celle de la nourriture tient plutôt de l'autopromotion. Pour retenir les touristes venus visiter la vieille ville, la cathédrale ou le musée municipal, mieux vaut que la qualité de l'hébergement et de l'accueil en général les incite à dîner ou à coucher sur place, et même à rester quelques jours. Chartes de qualité Dans le domaine de l'hôtellerie, les normes administratives existent depuis longtemps. En matière de meublés, la qualité, en revanche, laissait souvent à désirer, ce qui finissait par ternir l'image de marque de certains départements très prisés. Raison pour laquelle une trentaine d'entre eux (parmi lesquels la Vendée, la Loire-Atlantique ou la Haute-Garonne) ont adhéré au réseau " Clés confort ", association nationale de locations de vacances agréée par le ministère du tourisme en février 1993 (J O du 7 juillet). " Clés confort " effectue des visites de contrôle, diligentées par des professionnels des comités départementaux du tourisme qui s'occupent aussi des gîtes ruraux. De même que le ministère du tourisme décerne des étoiles pour les hôtels, cet organisme attribue des clés aux meublés : une, deux, trois ou quatre selon le niveau d'équipement. Seule ombre au tableau, certains offices municipaux du tourisme se refusent à ne promouvoir que les équipements labellisés. " Beaucoup ont du mal à vivre : il leur est parfois difficile de refuser la cotisation d'un adhérent propriétaire ", confie Valérie Ourie, responsable " Clés confort " en Loire-Atlantique.Le label " Nids vacances ", présent en Bretagne, est attribué sur des critères similaires, seule l'appellation diffère. Languedoc-Roussillon a également voulu se distinguer : l'agrément est baptisé ici " Meublés confiance " ! " L'opération, lancée par le Gard en 1986, a été reprise par la région Languedoc-Roussillon, et Provence-Alpes-Côte d'Azur va se joindre bientôt à nous ", affirme Marc Michel, du comité départemental du tourisme du Gard. Par souci d'originalité toujours, le Languedoc-Roussillon a préféré les soleils aux clés, Midi oblige !Si de nombreux départements incitent désormais les professionnels du tourisme à signer des chartes de qualité, les régions ne sont pas en reste. Les cafés ou les hôteliers des Bouches-du-Rhône arborant l'affichette " Le sourire en Provence " ou les établissements de Nord-Pas-de-Calais regroupés sous la bannière " Savoir plaire " s'engagent de la même façon à accomplir des efforts en matière d'accueil, de confort et de prestations. Se regrouper sous un même label de notoriété nationale ? Impensable. Les collectivités territoriales cherchent à tout prix à se différencier de leurs voisines, même si ce type de communication s'avère totalement inefficace à l'étranger. Chaque département, chaque région, est libre de faire ce qu'il veut. "La prolifération des labels est pourtant loin d'apporter toutes les garanties aux consommateurs, constate Francine Pochon, du bureau des collectivités locales à la direction du tourisme. Cela peut faire illusion dans un premier temps, mais si les promesses ne sont pas tenues, le résultat sera pire que si rien n'avait été tenté ! " © Carine Lenfant |