Jean de Lambertye , propriétaire du château de Cons la Grandville

et président de La Demeure Historique

(article paru dans Réflexions , revue de l'école Centrale, fin 2002)

©photos : Yann Monel

Naissance d'une passion

Diplômé de l’école Centrale de Paris (promotion 1982), Jean de Lambertye exerce depuis une quinzaine d'années des responsabilités dans le domaine de la banque d'affaires. Ses qualités de gestionnaire, il les exerce aussi à titre privé, comme en témoigne la restauration entreprise au château de Cons-la-Grandville, en plein cœur de la Lorraine « propriété de la famille depuis presque quatre siècles, avec une continuité par les femmes qui remonte à près de mille ans… ».

En 1980, l’année où son père, confronté à de graves problèmes de santé, lui a confié la responsabilité du site historique de Cons-la-Grandville, Jean de Lambertye a failli reculer devant l’ampleur de la tâche : « J’ai été à deux doigts de louer voire de vendre ». Prendre possession d’un château partiellement dévasté, d’un prieuré presque en ruine et de vastes dépendances en très mauvais état avait de quoi effrayer un jeune homme âgé de 22 ans à peine « sans fortune personnelle » !

L’état de délabrement de cet ensemble s’expliquait aisément : « Pendant la dernière guerre, ma famille s’étant réfugiée pendant deux ans dans le Limousin du fait de l’occupation allemande, le château est resté ouvert à tous vents et le corps de logis a été gravement endommagé. En septembre 1944, les écuries ont été détruites. Quant au prieuré bénédictin, fondé au XIème siècle, il était déserté par les moines depuis la Révolution…»

Ce moment de doute et de découragement a vite été surmonté : « Deux personnes m’ont mis le pied à l’étrier, confie Jean de Lambertye : Henri François de Breteuil - mon prédécesseur à la Demeure historique (voir encadré) - et François Goven , alors architecte des bâtiments de France de Meurthe et Moselle. Ils ont, chacun dans son rôle, fait naître une passion» : celle de ressusciter de tels lieux de mémoire !

Henri-François de Breteuil, «en me conseillant l'ouverture vers l'extérieur dans tous les sens du terme» et François Goven, « en accordant une première subvention de gros entretien» allaient modifier radicalement le cours de son existence, influer sur ses choix professionnels : « Je ne peux jamais trop m’éloigner de Cons. Cela m’a conduit notamment à refuser de m’installer à Londres, les liaisons aériennes avec la Lorraine étant trop compliquées. »

Au fil des ans, Jean de Lambertye a su établir des partenariats, nouer de bonnes relations avec l’administration, qu’il s’agisse des services de l’Etat, de la région, du département, du district de Longwy, mais aussi d'entreprises mécènes (fondations EDF, France télécom) : « Pour mener à bien un tel projet, il faut beaucoup d’argent, trop à l'échelle d'un seul individu ! »

S'il investit à titre personnel plusieurs centaines de milliers de F par an, ce sont plus de 20 millions de F de travaux lourds qui ont déjà été en partie réalisés grâce à des subventions. Grâce à quoi, un défi insensé - sauver un joyau du patrimoine lorrain - est en passe d’être relevé.

Comme tout monument historique remarquable, Cons nécessite en effet des investissements colossaux : près de 10 000 m2 de toiture devaient être remplacés sur les différents bâtiments du site, des travaux lourds (consolidation des édifices, restauration du château et du Prieuré, de la crypte, réhabilitation de la grange) étant envisagés à court ou moyen terme.
«J’ai eu comme ambition d’ouvrir tout à la fois les lieux à certaines périodes - l'ouverture au public n'étant pas synonyme de rentabilité mais servant de fil directeur - et de préserver une vie familiale » précise Jean de Lambertye.

L’aile Renaissance du château - avec ses fenêtres à meneaux - a été édifiée en 1572. Elle abrite notamment des cheminées superbes, décorées de pierre et de marbre, de nombreuses sculptures. L’aile ouest est plus récente : elle a été reconstruite au XVIIIème siècle par le premier marquis de Lambertye, premier gentilhomme de la chambre du duc de Lorraine et lieutenant général des armées du roi de France.

Situé au sud du château, «l'ensemble prieural paraissait susceptible de dégager des ressources dans un environnement où l'activité touristique semble très faible. » Objet d’une restauration soignée (réalisée avec le concours de la fondation EDF, délégation de Lorraine) la grange du prieuré bénéficie désormais d’équipements lui permettant d’accueillir séminaires et réceptions qui devraient permettre d’équilibrer à moyen terme les charges d’entretien du bâtiment. « La situation de Cons, proche de la Belgique, du Luxembourg et de l’Allemagne à cet égard représente un atout. »

Situé en plein bassin sidérurgique, comme en témoigne le haut fourneau bâti par un de ses aïeux maître de forges, Cons-la-Grandville, draine par essence un public limité, quels que soit les efforts de promotion entrepris. Le bilan paraît néanmoins encourageant : «Plusieurs centaines de mélomanes assistent d'ores et déjà aux Rencontres musicales, organisées à l’été et l’automne depuis 1988, un millier d'habitants de la région répondant volontiers à l'invitation de venir déguster de merveilleux pains à l’ancienne : récemment restauré, l’ancien fournil du prieuré reprend vie à l'occasion des Journées du patrimoine

Même s'il «éprouve parfois des angoisses» et s'il redoute certains jours d'imposer ses propres choix à ses trois enfants, Jean de Lambertye a de nombreux projets en tête : ouvrir au public le parc romantique, créé par son arrière arrière grand-père et y organiser des expositions de sculptures animalières contemporaines : « En 2003, le parc servira d'écrin pour de l'art vivant.» Une manière de poursuivre l'œuvre de ses ancêtres.

© Carine Lenfant

L'engagement

En janvier 2001, Jean de Lambertye a été élu pour deux ans président de La demeure historique. Fondée en 1924 par le Dr Joachim Carvallo, propriétaire du château de Villandry, cette association est reconnue d’utilité publique depuis 1965. Son but ? Assurer la défense, la conservation et la mise en valeur du patrimoine architectural privé, protégé au titre des monuments historiques (classé, inscrit) ou susceptible de l'être. Elle informe aussi bien les propriétaires privés de manoirs, châteaux et autres prieurés sur les mesures de protection à mettre éventuellement en œuvre que sur le régime fiscal spécifique dont ils relèvent.

« Pour un propriétaire privé, la protection au titre des monuments historiques représente une servitude : un contrôle rigoureux est effectué par l’Etat, explique Jean de Lambertye. Rien ne peut être entrepris sans l'aval du ministère de la culture. Je m’insurge contre certaines décisions parfois prises sans concertation avec les principaux intéressés : à quoi sert d’imposer des choix de restauration, un timing de travaux sans prendre en compte les contraintes budgétaires des propriétaires ? Le propriétaire privé est tout de même le vrai gestionnaire : si sa gestion est incohérente, il peut être contraint à la vente…alors que la mauvaise gestion d’un monument historique public ne débouche sur aucune sanction ! »

La Demeure historique compte aujourd'hui 2 500 adhérents : « 2% d'entre eux seulement parviennent à équilibrer leurs comptes grâce au tourisme culturel

Si certains grands châteaux privés, comme Vaux le Vicomte ou Breteuil en Ile-de-France, Cheverny, Villandry et Chenonceau en Touraine, accueillent plusieurs centaines de milliers de visiteurs par an, à ce titre, ils peuvent être assimilés à de véritables PME, la majorité des monuments classés ou inscrits ne disposent pas de ces retombées financières. Raison pour laquelle la Demeure historique joue un rôle avoué de lobbying auprès des ministères concernés (finances et culture) afin que certaines dispositions facilitent la transmission de patrimoine et évitent la dispersion des biens. Mesures notamment préconisées ? Libéraliser les conditions de création de fondations, « une formule juridique et financière efficace», et définir une véritable politique du mécénat de proximité «afin de sauver un nombre important de témoignages du patrimoine national. »

© Carine Lenfant

La demeure historique, Hotel de Nesmond,

57 quai de la Tournelle. 75005 Paris.Tél : 01 55 42 60 00

Site Internet : www.demeure-historique.org

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