article paru dans Paysages actualités N°286 

Mobilier urbain : choisir la série ou le sur mesure ?

Chaque jour, les citadins voient leur espace public se transformer un peu plus en parcours du combattant. La prolifération d’objets installés sur les trottoirs nuit à la lisibilité de la ville, entrave souvent la progression des piétons. De styles disparates, ces dispositifs n’assurent pas toujours leur fonction essentielle : améliorer le confort du citadin et la qualité du cadre de vie. Beaucoup ont été installés au détriment de toute cohérence, de toute préoccupation esthétique.

Au fil du temps, les trottoirs ont été progressivement envahis par du mobilier de propreté (corbeilles, conteneurs à déchets, sanisettes) de confort (bancs, fontaines, jardinières, horloges), de protection (bornes, potelets, barrières, lisses, garde-corps, grilles et corsets d’arbres),  mais aussi d’équipements liés au transport (abribus, bornes d’appel taxi, arceaux pour vélos, horodateurs), ou destinés à la communication (cabines téléphoniques, colonnes Morris) voire à l’information (panneaux d’affichages, porte plans, mâts de signalisation, bornes interactives).

La pose d’objets utiles ne date pas d’hier : les fontaines et les latrines publiques existent depuis l’Antiquité,  les bornes qui délimitaient les quartiers assuraient aussi la sécurité des piétons dans les rues dépourvues de trottoir à l’époque romaine. Quant aux potences, elles sont apparues plusieurs siècles avant les réverbères…  Le premier candélabre a en effet été posé à Paris en 1318, sous Philippe V, à la porte du Châtelet.

Il faudra attendre le Second Empire pour que soit créée une ligne d’objets spécifiques dans la capitale. Sous l’administration du baron Haussmann, l’architecte Davioud fut chargé de dessiner de multiples modèles de bancs, grilles, corsets d’arbres, poteaux porte affiches et autres éléments placés essentiellement sur les promenades, alors très fréquentées par les piétons.

La paternité de l’expression  « mobilier urbain »  est souvent attribuée à Jean-Claude Decaux : l’homme qui a commercialisé les premiers « abribus » dès 1964 a eu l’idée géniale de proposer d’en assurer lui-même l’installation et la maintenance, son investissement étant rentabilisé par la vente d’espace publicitaires.  L’industriel a signé en quarante ans des centaines de conventions avec les grandes villes françaises et la quasi-totalité des agglomérations de plus de 30 000 habitants. N°1 mondial sur le marché de la communication extérieure avec 304 000 faces dans 36 pays[1], il doit néanmoins faire face aujourd’hui à la concurrence.

Les usages se modifiant au cours du temps, les matériaux et les formes du mobilier urbain ont beaucoup évolué. Chaque français ou presque détenant un mobile,  les cabines téléphoniques ont tendance à disparaître. Les mâts surmontés de caméras, eux,  se multiplient, de même que les panneaux d’informations municipales, les journaux électroniques ou les bornes interactives.

Depuis la loi du 29 décembre 1979, et le décret du 21 novembre 1980, la publicité, interdite dans certains secteurs est strictement réglementée ;  seuls cinq types de mobiliers destinés au public sont susceptibles de servir, à titre accessoire, de supports publicitaires.

La conception des horodateurs et des potelets anti-voitures a dû être  revue, afin de ne pas constituer autant d’obstacles pour les piétons. « Nous travaillons beaucoup avec la mission handicap.  Nous revoyons tous les cheminements, éliminons les éléments dangereux, les cabestans bas par exemple  que les cyclistes, les personnes âgées ou déficients visuels ne voient pas» explique Marie-Christine Muller-Reny, conseiller en design urbain à la ville de Metz. Lorsqu’un tronçon est refait, les mobiliers sont revus dans l’esprit « d’une ville pour tous » : ils doivent désormais avoir le moins d’emprise possible au sol de manière à en faciliter l’approche. Les abribus aujourd’hui sont devenus suffisamment larges pour accueillir un nombre important de personnes. Pourvu de sièges, ils offrent aussi des emplacements libres accessibles aux poussettes et aux fauteuils roulants.

Compte tenu de l’absence de civisme,  les système anti-stationnement deviennent envahissants ; les sièges et autres jardinières doivent être scellés, pour éviter le vol. Les bancs sont souvent fractionnés par des accoudoirs, afin d’éviter que des SDF ne  s’y couchent…

La question du choix

De nombreux élus laissent à leurs services le soin de choisir le mobilier. Spécialisés dans le béton aggloméré, le bois, le métal ou la pierre, les fabricants inondent les fonctionnaires territoriaux de propositions de lignes « coordonnées », insistant surtout sur la simplicité d’utilisation et le confort des utilisateurs. La facilité d’entretien, la résistance des produits aux intempéries et au vandalisme  s’avèrent souvent des critères déterminants de choix.

Les industriels sont les premières victimes de la formidable surenchère à laquelle ils se livrent : « Chaque année voit fleurir des styles différents, du plus dépouillé au plus chargé, du plus simple au plus complexe » constatent Annie Boyer et Elisabeth Rojat-Lefèbvre, auteurs d’un ouvrage de référence[2] sur le sujet.

Le haut de gamme, proposé  notamment par les catalans Sandra & Cole ou Escoffet, coûte encore très cher. Quand Norman Foster, Jean-Michel Wilmotte, Philippe Stack, Richard Meier, Garouste et Bonetti ou Juigiaro dessinent du mobilier, ils perçoivent sur chaque modèle vendu des royalties. Résultat ?  des abribus banals, parfois sans parois de verre, sont implantés dans des quartiers dits sensibles, alors que ceux portant la patte de designers réputés se retrouvent dans les quartiers historiques ou bourgeois, beaucoup moins sujets à des dégradations.

« En quelques années, les catalogues se sont beaucoup améliorés, estime Marie-Christine Muller-Reny. De nombreuses entreprises se sont associées à des concepteurs, il existe aujourd’hui des mobiliers très sobres. »

Attentives à leur image, certaines collectivités locales ou territoriales profitent de l’expiration d’une concession, du réaménagement d’une place emblématique, de la requalification d’un quartier sensible, de la création d’une zone 30 ou encore d’une ligne de  tramway, pour lancer des concours.  Architectes, paysagistes,  urbanistes ou designers sont alors invités à plancher, à émettre des propositions, voire à dessiner des prototypes, une fois le recensement du mobilier existant opéré, les attentes des utilisateurs et les contraintes du site mieux cernées.

« Est-ce qu’une borne anti-voitures répond au problème posé par le stationnement sur les trottoirs ? Est-ce qu’une jardinière s’impose ? A une fonction ne correspond pas forcément un objet mais un parti pris, estime Cécile Planchais, designer et concepteur d’une nouvelle fontaine implantée sur les marchés parisiens. Le mobilier urbain doit être conçu comme une mise en scène, il n’est pas fait pour être regardé mais pour avoir une présence discrète, significative, qui réintroduit  le sens du paysage. Il n’y a rien de pire que la fausse note ! Il nous appartient de mettre de l’ordre, d’opérer un tri entre ce qui peut être conservé et ce qui doit être changé..»

 «Soit nous avons carte blanche,  soit le maire impose un style : de « l’ancien » par exemple, explique Georges Vafias, architecte et scénographe urbain. Même si les fabricants proposent tous des bornes anti-voitures, des corbeilles de propreté, des bancs et des grilles d’arbres, je prends rarement tout chez le même. Je m’efforce plutôt de composer une gamme d’objets pris chez  différents fournisseurs. Il suffit de choisir le même alliage, d’opter pour des matériaux similaires.»

« Depuis dix ans, de nombreuses villes élaborent des chartes, constate-t-il. Les modèles ou les matériaux peuvent être  préalablement définis. Lorsque seule la  couleur est imposée, cela laisse plus de latitude. Il suffit de repeindre dans la teinte voulue... »

S’il lui paraît souhaitable d’homogénéiser les poubelles ou les bancs d’une même rue, d’opérer des continuités, « il ne faut pas pour autant sectoriser complètement. Sous peine de monotonie. »

 « Tout est question de dosage, il faut s’adapter au contexte local sur lequel on vient s’implanter » insiste Julien Schnell, responsable du pôle aménagement urbain et infrastructures à l’agence Reichen et Robert : « le mobilier urbain créé pour la ligne de tram de l’agglomération de Douai reste l’un des outils  qui donne une dimension unificatrice sur 12km. Nous avons proposé une gamme de mobiliers très sobres en évitant l’effet de mode, afin de donner un côté intemporel à l’ensemble. Nous avions commencé par concevoir l’abribus, puis nous nous  sommes laissés prendre au jeu en dessinant jusqu’au moindre détail corbeilles,  potelets, garde-corps et  bancs des stations! »

La maintenance au cœur des préoccupations

 Le mobilier sur catalogue coûte évidemment moins cher que le mobilier sur mesure. « Au niveau de l’entretien, la gestion est beaucoup plus facile, insiste Marie-Christine Muller-Reny, nous avons trop de mal à remplacer les choses atypiques. »  Sitôt qu’un élément est abîmé, il convient de le réparer au plus vite. Or les villes n’ont nulle envie de gérer des stocks importants de pièces détachées.

Le mobilier urbain est censé durer. Quinze ans minimum. Choisir des matériaux solides, faciliter la tâche des agents municipaux chargés de la maintenance,  telle est l’équation ardue à résoudre !


[1] Sources : www.jcdecaux.com 

[2] Le mobilier urbain. Editions du Moniteur

© Carine Lenfant

Paris "actualise" son mobilier

. « Créée en 1971, la commission municipale de mobilier urbain de la ville de Paris a été réorganisée en 2003 » précise Odile Royer, Chef du Bureau des Études Urbaines et de l'Espace Public à la Direction de l'Urbanisme. « Elle comprend à la fois les adjoints au maire concernés par l’espace public,  plus un représentant de chaque groupe politique et les fonctionnaires des services concernés (Secrétariat Général, urbanisme, finances, voirie, espaces verts,  propreté, affaires culturelles).»  Outre ces 13 élus et ces 7 fonctionnaires, 7 représentants institutionnels, parmi lesquels l’Atelier parisien d’urbanisme (APUR) la Préfecture de Police, le CERTU, le Pavillon de l'Arsenal et le Service départemental d’architecture et du paysage (SDAP) siègent dans cette commission, ainsi que 6 représentants d’associations  et 5 personnalités qualifiées : un paysagiste (Alexandre Chemetoff), un architecte-ingénieur  (Jean-Marie Duthilleul), un éclairagiste (Roger Narboni), un historien (Vincent Sainte Marie Gauthier) et le Directeur du Centre de Création Industrielle du Centre Georges Pompidou.

« La commission se réunit en moyenne tous les 3-4 mois : elle a pour objectif de répondre aux besoins d’évolution contemporaine liés aux nouvelles normes mais aussi aux nouveaux besoins dont les nouvelles technologies » précise Odile Royer.

Afin de se mettre en conformité avec le Schéma directeur d’accessibilité à l’espace public viaire, approuvé par le Conseil de Paris en 2002,  le mobilier est progressivement adapté aux personnes à mobilité réduite (PMR) : ainsi les potelets situés au droit des passages piétons ou des passages de porte-cochère sont progressivement remplacés par des dispositifs de 1,20 m de hauteur (contre 0,80 m) dotés de boules blanches à leur extrémité, afin d’être mieux vus par les déficients visuels. Cependant aucune solution n’a encore été trouvée pour éviter que « les vélos s’accrochent aux poteaux comme aux barrières Croix de Saint-André installées au niveau des carrefours ».

Pour limiter l’encombrement sur les trottoirs, des réflexions sont engagées sur des mobiliers multi-fonctionnels : «Ainsi les Colonnes Morris qui servaient à l'origine de placards à balais, ont par la suite abrité des cabines téléphoniques et des toilettes publiques. » Le développement des nouvelles technologies se heurte cependant à des difficultés « avec le développement des Cybercafés, les bornes Internet sont devenues inutiles. »

 « La Commission a la charge d’actualiser des catalogues complètement obsolètes, précise encore Odile Royer. il faut créer un mobilier plus esthétique, enlever ce qui est implanté de manière incohérente ou que l’on n’utilise plus. » Afin de remplacer
« ces horribles porte-sacs
 transparents», implantés après les attentats, une consultation est actuellement en cours sur la base d’un cahier des charges très précis : « cette nouvelle corbeille doit répondre à la fois aux impératifs édictés par le Plan Vigipirate, aux normes PMR, tout en étant très fonctionnelle : lors de la collecte, le système doit être simple, pratique, afin de permettre le ramassage du plus grand nombre de sacs et d'éviter toute pénibilité au personnel ».

Les 16 126 corbeilles ne peuvent évidemment pas être remplacées du jour au lendemain : « les choses se font petit à petit en fonction des réaménagements, tout en ayant une attention particulière sur les quartiers notamment périphériques, situés en Grand Projet de Renouvellement Urbain (GPRU)  ».

 

Athis Mons choisit le sur-mesure pour une place

« Le mobilier doit s’imposer à une double échelle, celle de l’utilisateur et celle du site » confie Jacques Coulon,  raison pour laquelle je n’utilise pas de mobilier urbain préfabriqué, beaucoup trop petit ! »

Pour le projet d’aménagement de la place Mendès-France à Athis Mons, un espace de 3900m² délaissé situé dans le quartier du Noyer-Renard entre une salle de spectacle et le Centre culturel René Goscinny, ce paysagiste a imaginé une suite de grandes banquettes courbes en carrelage avec des assises en ipé, un bois exotique, ne nécessitant guère d’entretien : « ils deviennent gris sauf si on les passe une fois par an à l’huile de lin. »

© photo Atelier Jacques Coulon
Sachant combien les villes se préoccupent de maintenance,  « ces banquettes sont donc faciles à remplacer par n’importe quel artisanMon mobilier est quasiment indestructible et ne coûte pas plus  cher que des bancs sur catalogue ! »

Les  candélabres sont des « colonnes de lumière », dessinées par l’éclairagiste Yves Adrien. L’ombrière, conçue par l’architecte Pascaline Guillier, avait notamment pour but « d’éviter que les adolescents se réunissent pour discuter en pied d’immeuble. » Une structure de plantation métallique, créée par le sculpteur Hélène Rémy, soutient des tressages en saule, et permet de marquer des transitions entre les différents espaces, sans pour autant les clore. L’accent étant volontairement mis sur la convivialité : « il fallait faire de cette place un lieu où les gens se rencontrent. »

Ce concours gagné en 1993 a mis près de dix ans à se concrétiser : « le projet est resté longtemps en sommeil en attendant une réflexion plus large sur le quartier. »

Coût global de l’aménagement ?   915 000 euros.

 Photos : atelier Jacques Coulon

Nantes mise sur la communication

« Nantes s’est dotée d’un mobilier urbain flambant neuf sans qu’il en coûte un euro aux finances de la ville et donc aux impôts du contribuables » annonçait fièrement le mensuel municipal en 2001. « L’appel d’offres lancé concernait la fourniture, la pose et l’entretien de mobiliers d’information et de communication » explique Frédéric Cesbron, directeur des nouvelles technologies chez Clear Channel France, la société concessionnaire qui a enlevé ce marché important, devant Jean-Claude Decaux.

© photo Clear Channel 783 abribus, 256 panneaux d’affichage de 2m² (comportant d’un côté un affichage commercial, de l’autre un affichage municipal), 60 panneaux publicitaires de 8m², 75 panneaux de 1m² réservés à l’annonce d’évènements culturels, 10 journaux lumineux, 250 panneaux de 2 ou 4m² réservés à l’affichage d’opinion et aux associations, 8 totems d’entrées de ville, 120 panneaux de signalisation des pôles commerciaux des quartiers, 70 relais d’informations touristiques et 100 plans de ville composent le mobilier urbain « traditionnel ». A quoi s’ajoute le système Infoville : 150 kiosques multimédias, dotés d’agendas électroniques diffusent des informations et permettent d’accéder aux programmes de loisirs, 30 bornes Infoweb, 7 écrans vidéo grand format offrant en alternance un message commercial et un message municipal, 10 écrans graphiques 16/9è implantés dans les bâtiments publics.

« Les villes s’intéressent aux nouvelles technologies dès lors que l’information est renouvelée systématiquement » précise Frédéric Cesbron.

L’organisation du chantier a été minutieuse : les 783 abribus devaient être implantés en dix semaines. 22 personnes sont affectées par Clear Channel à l’entretien et la maintenance du mobilier urbain nantais. « La concession est attribuée pour 15 ans, au terme desquels le mobilier doit être dans le même état que la première année. »

Illzach joue la carte de la convivialité

 Lauréat d’une consultation lancée sur Illzach  en 1998,  Jean-Marc Bouillon a terminé l’aménagement du centre de cette ville de 15 000 habitants en 2003 : « nous avons apporté beaucoup de soin aux traitements de sol et davantage d’espace a été redonné aux piétons, » explique le fondateur de l’Atelier du paysage. S’il a choisi mâts d’éclairage chez Hess et corbeilles chez Sineugraff, il a dessiné la fontaine -« un simple jet d’eau sortant du sol »- et les prototypes de la vingtaine de sièges qui seront implantés place de la République.

© photo Atelier du paysage

« Conscient  de l’inconfort du mobilier urbain classique », il a imaginé des bancs et des petits fauteuils assortis munis d’accoudoirs, « aussi confortables que du mobilier intérieurLe bois apporte une chaleur d’usage, le métal la solidité de l’ossature.» « Pour susciter un peu de convivialité » ces sièges, posés en vis à vis seront pivotants : « Il fallait qu’ils bougent sans pouvoir être volés. » 

Ce paysagiste l’admet volontiers :« Dessiner un banc, c’est un vrai métier. Si l’on peut impulser l’idée, il vaut mieux que la réalisation soit confiée à des fabricants quand on n’a pas fait l’école Boulle. » Ces sièges seront donc édités par Sineugraff. Coût unitaire du banc ? 1 220 euros. Hors mobilier d’éclairage, le coût total du mobilier urbain  (sièges, arceaux à vélos, corbeilles et bornes mais aussi grilles d’arbres et clous) a représenté 6% du coût total de l’aménagement qui a atteint 641 878 euros.

© Carine Lenfant