Un jardin de « mauvaises herbes »
reportage effectué pour Jardins passion (2001)
Quelques
années auront suffi à Liliana Motta pour transformer un
jardin abandonné en Conservatoire national de renouées.
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Les hautes haies
» ? Apparemment, à Saint-Paul-le-Gaultier, petit village
des Alpes Mancelles, tout le monde connaît. Le cafetier
paraît ravi d’indiquer le chemin : « Vous allez visiter le jardin ?
»
Ouvert au public de 10 h à 18h en juillet et août,
celui-ci a suscité au départ un certain scepticisme, puis
la fierté légitime des habitants, un peu jaloux de la
notoriété de Saint-Cénery et Saint Léonard
des bois, distants de quelques kilomètres.
Liliana Motta sert de guide,
répond patiemment aux questions, banales, farfelues ou
très pointues des visiteurs qui découvrent souvent pour
la première fois ces curieuses grappes vaporeuses, ces
épis denses portés par des tiges graciles, ces plumets en
grappes soigneusement étiquetés. |
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Devant les parterres de
renouées, les carrés de cultures bien dessinés qui
disparaissent sous l’exubérance des Reynoutrias, les
allées bordées de Polygonum affine variété
au port tapissant , de Fagopyrum dibotrys (sarrasin vivace) plantes
buissonnantes et P. multiflorum , espèce grimpante, les
interrogations fusent.
La maîtresse des lieux confesse
une timidité maladive, paraît pourtant dotée
d’une énergie et d’un entregent peu banals. Son
enthousiasme communicatif lui a permis obtenir des subventions du
Conseil général de la Sarthe et de l’Europe, les
conseils avisés du Muséum d’histoire naturelle, la
sollicitude et même le parrainage de botanistes chevronnés.
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Les trois quarts des espèces
de Polygonum répertoriées dans le monde, en Europe
tempérée et en Asie sont représentées aux
Hautes haies. Aimant pour les unes l’ombre,
préférant pour les autres le soleil, ces plantes
fleurissent de juin à novembre, se déclinent en blanc,
rouge ou rose. La forme des feuillages, leurs couleurs –qui
naviguent du vert foncé au jaune crème, en passant par le
vert tendre- suscitent beaucoup de curiosité. Raison pour
laquelle en novembre, beaucoup de gens se pressent à la Bourse
aux plantes.
Le profane a du mal à
concevoir que rien de tout ceci n’existait, voilà huit ans
à peine. L’histoire de ce jardin, du coup de foudre que
Liliana Motta et son mari ont éprouvé en visitant les
lieux en 1993, mérite d’être contée. « Le
jour où l’on a visité cet ensemble de cinq maisons
en ruine, j’ai demandé au voisin qui repiquait des laitues
: « Il fait toujours aussi mauvais ? ». Lui estimait
plutôt qu’il faisait beau ce jour là…
L’amie argentine qui nous avait conseillé d’aller
faire un tour dans le Perche, pensant que ces grandes étendues
vertes me rappelleraient mon pays, qui n’est qu’un immense
terrain vague, avait omis de nous parler du temps ! Le coin nous a paru
néanmoins délicieux. Ce n’est qu’après
avoir signé que nous avons appris que le terrain était
situé dans le parc régional Normandie Maine, dans ce
paysage accidenté des Alpes Mancelles. Une vraie chance :
c’est un site privilégié ! » |
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Une première maison -« celle qui nous paraissait la plus habitable
»- est retapée par le couple –Jean-Christophe Denise
est architecte- qui y passe désormais toutes les vacances et de
nombreux week-ends. Au fil des ans, les travaux avancent.
D’anciens traces de vergers, de potagers apparaissent
bientôt sous les ronces. « Incapable de reconnaître
un fraisier, de distinguer une salade, je n’en avais jamais vu
ailleurs qu’au supermarché, j’ai été
prise d’une urgence de savoir » confie cette ancienne
styliste de mode passée par les Beaux-Arts qui se consacrait
alors presque exclusivement à l’éducation de ses
deux jeunes fils. En bibliothèque, elle cherche à en
connaître davantage, compulse des ouvrages, feuillette la revue
de la SNHF (Société nationale d’horticulture de
France), y apprend que le Muséum d’histoire naturelle
organise des cours de botanique et décide aussitôt de
s’inscrire. |
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Botanique appliquée,
ethnobotanique, dessin scientifique, histoire des jardins…
étudiante studieuse elle s’investit à fond,
sollicite les conseils éclairés de ses professeurs. Plus
elle se documente, plus elle se prend au jeu, découvre
qu’un jardin, « ce n’est pas le Paradis, mais un lieu
d’échanges. »
Sur le terrain, dans la Sarthe, elle
contacte la Chambre d’agriculture, obtient 3 000F d’aide
pour planter 400 arbres et arbustes et reconstituer des haies, dans
lesquelles une profusion d’ oiseaux viennent se nicher. Erables,
chênes, ormes résistants, charmes blonds, acacias,
noisetiers, prunelliers, troènes, fusains d’Europe et
viornes. Au total, une dizaine d’essences différentes
reconstituent le bocage.
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Comme les maisons étaient
à l’origine entourées de petits enclos, la jeune
femme crée tout d’abord dans l’un d’eux un
potager, « de plantes aromatiques assez rudimentaires». En
1998, elle prend de l’assurance, n’hésite pas
à poser sa candidature au 7° Festival international des
jardins de Chaumont (Loir et cher), rencontre Jean-Paul Pigeat à
qui elle propose de présenter quelques variétés de
Polygonum, «ces plantes injustement méconnues. » |
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Polygonum ? Ce nom a
été attribué par Linné à des plantes
présentant plusieurs (poly en grec) « genoux » ou articulations (gonu), en raison des nombreux nœuds qui se succèdent sur les tiges . Le projet, «accepté à l’unanimité
» -de simples bouteilles d’eau minérale en plastique
empilées sur des fers à béton irriguaient les
plantes- lui permet de mieux se faire connaître,. Des
journalistes, des élus politiques l’interrogent : « Vous
êtes architecte , paysagiste ? Je répondais non, je suis
femme au foyer, j’élève mes enfants. » |
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Chaumont devient sa carte de visite
et lui donne surtout l’idée de créer aux Hautes
haies, un jardin thématique : « J’ai eu envie
d’y mettre la flore commune, tout ce sur quoi on marchait tous
les jours. J’ai préparé des carrés,
planté des espèces qui se trouvent dans les fossés. » Ses voisins ne comprennent rien : « Vous plantez des mauvaises herbes ! »
Mais le jour où un concours est organisé par le
Comité d’embellissement du canton et qu’elle est
seule capable, parmi une cinquantaine de participants, de
reconnaître les cinq plantes présentées, elle force
l’admiration des paysans locaux. Et repart, ravie, avec son
premier prix sous le bras : un Lonicera (chèvrefeuille) |
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Son jardin réunit
aujourd’hui 150 espèces de Polygonum (sur les 200
recensées à ce jour), parmi lesquelles beaucoup
d’annuelles « que je dois être la seule au monde à posséder .
» Ici, des pieds de P. Poiretti sont issus de graines
récoltées à l’île Maurice et
semées au Conservatoire de Milly-la-forêt. Là, P.
microcephalum à feuillage pourpre, à côté P.
virginianum, un nord américain. Ailleurs des massifs de
P.filiforme.
Cette collection, « orientée botanique
», Liliana Motta a tenu à la faire classer par le
Conservatoire français des collections végétales
spécialisées, histoire de montrer le sérieux de
son entreprise. « C’était une gageure ! A la
différence d’arbustes bourgeois, comme le rosier,
l’hydrangea ou le camélia, les polygonacées sont
des plantes cosmopolites qui se sont naturalisées en Europe.
Reynoutria japonica ou R. sachalinensis ont été
introduites au XIX° siècle par un médecin hollandais
du Japon. Très longtemps en vogue, ces plantes colonisent
aujourd’hui tous les terrains ingrats, les bords de route. »
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Le Conseil général,
sollicité, non seulement la reçoit, l’écoute
attentivement mais la soutient financièrement : elle
reçoit 50 000Fde subventions d’investissements, ce qui lui
permet d’obtenir dans la foulée 50 000F de fonds
européens. Le Crédit Mutuel local joue à son tour
les mécènes, lui octroie un prêt sans
intérêt : « En une année,
l’infrastructure du jardin a pu être prise en charge, la
serre d’hiver créée, les gravillons des
allées achetés. Le classement impose que les plantes
soient adaptées au milieu horticole, requiert également
une compétence - il faut savoir récolter les graines et
les conserver, constituer un herbier est souhaitable- Il faut aussi
pouvoir se porter garant d’une diversité, reconstituer
l’origine de chaque pied. » Raison pour laquelle elle
tient scrupuleusement à jour un fichier de ses acquisitions,
où elle indique la provenance de chaque bouture, de chaque
graine. « Les horticulteurs ont un peu de mal à donner
la trace, alors que dans les jardins botaniques, les lieux et les dates
de récoltes sont toujours répertoriés. » |
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Le défi est relevé :
son jardin est classé Collection nationale en 1999, un an tout
juste après son ouverture au public, quelques semaines seulement
après les grandes tempêtes qui ont endommagé
gravement les lieux, notamment la petite maison à
l’entrée, où devait être
aménagé l’accueil, la toiture de plusieurs
bâtiments et un mur pignon.
Faisant l’objets d’articles élogieux dans la presse locale, le jardin attire curieux et amateurs : « L’an
passé, dix visites guidées de 40 personnes ont
été organisées. Chaque week-end, une dizaine de
voitures s’arrêtent. Comme les gens ont tendance à
demander beaucoup d’explications, cette année, j’ai
prévu des panneaux pédagogiques pour ponctuer la visite. »
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Hostile à l’idée
de faire payer, Liliana Motta n’écoute guère les
conseils du directeur du Conservatoire de Milly-la-Forêt qui
l’a mise en garde : « Notre jardin était méprisé quand il était gratuit. » Elle mesure que les visiteurs semblent parfois gênés : « Certains suggèrent que je mette un tronc. Comme à l’église…»
Seule ombre au tableau : comme elle répugne aussi à
l’idée d’apposer des panneaux « interdit
», l’intimité de sa famille a parfois du mal
à être préservée. « Mais rien
n’est jamais volé, bien au contraire : on me rapporte
toujours une paire de ciseaux ou un sécateur égaré
dans un massif… » |
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Néophyte en 1993, Liliana
Motta a acquis en quelques années une notoriété
certaine, est désormais sollicitée pour créer
d’autres jardins en France. Séduit par l’aventure,
le maire de Saint-Paul-le-Gaultier lui a demandé l’an
passé de concevoir un parcours mettant en valeur une promenade
depuis la place de l’église jusqu’au cœur du
village. Un petit jardin botanique a ainsi été
aménagé depuis le long du bief. Patrick Bouchain lui a
demandé de concevoir pour le Musée international des arts
modestes à Sète, un jardin minuscule de plantes
méditerranéennes, où se mêlent plantes
étrangères et indigènes. Une collection de
Polygonum a aussi pris place dans l’immeuble France Telecom
Transpac à Paris . Elle planche actuellement sur
l’aménagement des talus et des fossés qui entourent
les futurs locaux de l’Académie du Cirque à Saint
Denis (Hauts de seine).
Botaniste amateur, se
prétendant du moins toujours telle avec une modestie non feinte,
la jeune femme poursuit sa formation : «J’ai estimé nécessaire d’aller plus loin.
». Au vu de ce qu’elle avait déjà accompli,
le directeur du labo de paléo-botanique et de
paléo-écologie de l’université Paris VI a
accepté de la prendre en diplôme d’études
doctorales : « Mon thème de recherche – la
collection de Polygonum constitue-t-elle un danger pour la
biodiversité ?- l’a intéressé » |
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Argentine immigrée en France, Liliana Motta admet volontiers qu’elle s’est identifiée « de manière passionnelle
» à cette flore étrangère qui
s’installe et se propage avec facilité,
s’étale parfois beaucoup, au point qu’elle devient
parfois très envahissante. A l’heure où
d’autres prônent des idées protectionnistes, elle
s’avoue favorable aux mélanges en horticulture. « Je
m’intéresse pour les mêmes raisons aux chardons,
témoin d’une immigration européenne en
Amérique du sud. Par ces plantes, j’essaie de reconstituer
des racines généalogiques qui me manquent.»
© Carine Lenfant |
Renseignements pratiques :
« Les hautes haies »,
Jardin ouvert au public gratuitement chaque été en
juillet et août, le week end.
Visites groupées sur RV Saint Paul le Gaultier 02 43 33 57 65 e mail : motta@wanadoo.fr
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