Escale provençale article publié N° 43 dans Architectures à vivre |
Murs gris anthracite, ocre et framboise... la maison tranche par ses couleurs vives sur ses voisines, mais aussi par la rigueur géométrique de ses lignes. Située dans le périmètre protégé de Méthamis, un village perché du Comtat Venaissin (Vaucluse), cette construction est le fruit d’une concertation étroite entre un maître d’ouvrage et ses architectes.
Le projet initial ne ressemblait pas du tout au bâtiment actuel : « Quand il m’a contacté, courant 2003, Alain
D. m’a expliqué qu’il voulait une maison bioclimatique à ossature bois
recouverte d’enduit, de manière à gagner des épaisseurs de murs car
son terrain était exigu : la parcelle ne fait que 170m² » raconte Olivier Souquet .
Ancien
collaborateur de Christian de Portzamparc et lauréat des Nouveaux
albums de la jeune architecture (NAJA) en 2002, cet architecte parisien
n’avait pas réalisé la moindre maison individuelle. Avec son associée,
Nathalie Capelli, aujourd’hui installée à Gordes, Il a tenu à aller
voir les lieux : « Les projets ne se font pas avec des images que
l’on calque, il faut être attentif à la culture du site, au contexte et
à l’histoire. »
La maquette
présentée en mairie fin 2003 ayant fortement déplu, le couple a dû
revoir sa copie. Consulté, l’architecte des bâtiments de France du
Vaucluse a suggéré de mettre de la pierre mais aussi d’inverser les
pentes de toiture : « mieux valait suivre ses conseils plutôt que d’attaquer les élus frontalement. »
Une peau en pierres La stratégie a certes porté ses fruits mais la conception s’en est trouvée radicalement modifiée. Le long de la rue principale qui monte à l’église romane, un grand mur, percé de deux meurtrières métalliques affirme le côté bastion de cette maison : « Méthamis est un ancien village fortifié construit sur une avancée rocheuse. Nous avons voulu marquer l’entrée dans la ville haute. Comme la trace d’un mur d’enceinte, un crénelage en haut du chemin de ronde donne sur le paysage »
Les contraintes imposées par l’administration se sont traduites par cette « peau en pierres » que les architectes ont tenu à traiter «comme un tableau »
Une mise en œuvre volontairement très éloignée de celle des murs
environnants : l’appareillage à sec est constitué de 10% de pierres
blanches, de 15% de pierres rouges de Crillon « les 75% restantes ayant été choisies de manière aléatoire afin d’obtenir des effets .»
Sensibles aux thèses de Kenneth Frampton Olivier Souquet et Nathalie Capelli se disent « respectueux du contexte» mais adeptes d’un régionalisme critique :
« il faut trouver dans l’architecture locale les
éléments susceptibles d’être
transposés de manière contemporaine. »
Partage des rôles Leur client avait d’emblée annoncé la couleur : Alain D. tenait assurer lui-même le suivi de chantier. Installé depuis trente ans à Méthamis, cet ingénieur des travaux publics connaissait déjà bon nombre d’artisans locaux pour avoir restauré l’une après l’autre deux maisons. Là où d’autres auraient hésité, lui n’a pas craint de faire creuser le rocher au bulldozer pour aménager une grande cave sous sa cuisine. Ce travail de terrassement n’avait vraiment pas de quoi l’effrayer…
Alain D. a dessiné
aussi les huisseries extérieures métalliques et tenu à choisir les
matériaux : cyprès massif pour les portes extérieures, une essence
méridionale qui embaume l’atmosphère, platane massif pour les portes
intérieures, cèdre massif pour le plan de travail de la cuisine et le
plan vasque de la salle de bains, acier pour les portes de placards de
la cuisine.
Cette façon
d’intervenir dans la conception s’explique probablement en partie par
le fait que ce maître d’ouvrage avait envisagé un moment de faire
architecture après l’obtention de son diplôme d’ingénieur. Il a
finalement reculé, « n’ayant nulle envie d’en reprendre pour quatre ans. »
Priorité donnée aux volumes Cette maison de vacances de 140m² compte cinq pièces réparties sur dix demi-niveaux différents : « Il fallait dilater les échelles, de manière à donner l’impression que c’était grand» insiste Olivier Souquet. Les volumes ont partout été privilégiés : le séjour de 20m² atteint par exemple plus de cinq mètres sous plafond. Les jeux de transparences, les échappées de lumière permettent de ne jamais se sentir confiné. L’ensemble des pièces s’oriente sur un espace belvédère délimité par un plan d’eau.
Après
la pose de la charpente, le chantier s’est arrêté. Deux ans ont passé,
un temps mis à profit par le maître d’ouvrage pour opérer quelques
modifications. « Au départ, les murs du patio avaient été peints en blancs, confie ce dernier.. L’été, la réverbération était insupportable » Les murs nord se sont depuis couverts de tonalités ocre et pourpre.
Meurtris
par les critiques violentes dont ils ont été l’objet –l’architecture
contemporaine suscite toujours davantage de polémiques que le
néo-régional- les propriétaires ont tenus « à
vivre dans un espace tout à la fois très ouvert
intérieurement mais fermé
extérieurement ».
Ils
peuvent faire quelques brasses dans le petit bassin à débordement
(1,5m x 6), lire dans une chaise longue, sans crainte d’être observés.
Un brise-vues, réalisé en lames de pin Douglas, les protège en partie
des regards indiscrets. Au départ, celui-ci n’avait pas été prévu.
Un soin apporté aux détails Clin d’œil aux calades [1] de la région, de faux pas d’âne sont matérialisés de manière claire dans le sol du hall d’entrée. Ce plan incliné débouche sur le patio de 25m², pièce de vie majeure de la maison. Les grandes baies vitrées qui le bordent, protègent la maison des rigueurs du climat. Contrairement aux idées reçues, il peut faire très froid en Provence en hiver, sitôt que le mistral souffle. Coulissantes, ces baies en aluminium laqué restent ouvertes aux beaux jours. Une ombrière en lames de pin de Douglas apporte de l’ombre au patio exposé plein sud. Une ventilation naturelle est assurée par des fenêtres dont la taille diffère selon l’orientation. Situés de part et d’autre du hall d’entrée, deux escaliers mènent au premier étage, le premier à la chambre des propriétaires, le second à une chambre d’amis. La salle de bains étant située au rez-de-chaussée, ces deux petites pièces disposent l’une d’un cabinet de toilette, l’autre d’un simple lavabo. Des tôles découpées dans les fenêtres étroites empêchent de voir et d’être vu, « impératif exigé par la réglementation du vis à vis ».
Surplombé
par la cuisine, le séjour, très lumineux, comporte une cheminée : les
D. aiment beaucoup venir ici en hiver. Un plancher chauffant électrique
avait pour cette raison été prévu sous les grands carreaux sombres de
grès cérame. Une vitre, aménagée dans le foyer permet d’entrapercevoir
le jardin voisin. Détail qui révèle le soin apporté aux finitions. Orienté plein sud, un bureau peut servir au besoin de chambre d’appoint.
Une coopération sans faille Le maître des lieux étant bricoleur, un petit atelier au sol en béton peint a été aménagé sur le côté est du patio. Il communique avec une remise également accessible au niveau inférieur par un grand portail métallique côté rue mais aussi, par une autre volée de marches, à un atelier de sculpture qui peut se transformer demain en salle de lecture.
Alain
D. se félicite ouvertement des bonnes relations qu’il entretient
toujours avec ses architectes après plusieurs années d’étroite
collaboration. A la différence de la maison construite par Jean-Paul
Bonnemaizon dans le village voisin du Beaucet, exemple d’intégration
particulièrement réussi[2], la sienne lui paraît davantage le fruit «d’ une œuvre commune ».
Carine Lenfant-Valère |